~Thirty-five

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-"Que ta mémoire soit source de bénédictions, amen."

Il y eut l'espace d'un millénaire entre le moment où Isabel entendit ses mots et où elle, finalement, déposa la rose sur la tombe fraîchement recouverte.

Peut-être était-ce parce qu'elle l'attendait, en vain. Qu'elle sorte de là, fière mère qu'elle était, qu'elle revienne.

Était-ce puéril ?

Elle déposa également un spathiphyllum, symbole de paix, comme un souhait de bon voyage à celle qui les quittait.

Tout paraissait soudain irréel.
Barbara déposa une veste sur ses épaules, le vent commençant à souffler fort tandis que les endeuillés quittaient lentement la scène.

Elle restait.

Elle, parmi tous, demeurait, sans savoir pourquoi.

Son père s'accroupit, murmura quelques paroles indécises, trop peureuses d'être entendus par des oreilles indiscrètes.

Puis il se releva, épousseta ses vêtements sombres, puis sortit du cimetière à ciel ouvert, préférant s'effondrer dans sa voiture plutôt que devant sa progéniture.

C'était ainsi, la vie.

Il passa près d'elle, embrassa son crâne tendrement, effleura son épaule, partit.

Et elle restait.

Elle, toujours, demeurait.

Malgré la tempête, malgré la grêle, le vent, la pluie, la misère, malgré les larmes et les cris, elle, toujours, vivait.

-"Je te raccompagne chez toi."
La douce voix de Barbara n'arrivait pas à détacher les yeux d'Isabel de là où dormait sa tendre mère.

La rouquine tenta de la tirer, mais Isabel ne bougeait pas, les pieds ancrés.

Était-ce trop demander ?

Une vague calme. Un temps plat.

Un moment de silence.

-"Isa'."

Ça ne suffisait pas. Rien ne suffisait.

-"Il fait froid."

Oui, elle le savait. Elle espérait que l'air frais gélerait son coeur.

Barbara la tira, forcée, et la jeune femme sortit du cimetière, la tête se balançant sur ses épaules comme si elle tentait de s'y échapper, les yeux ternes.

L'étincelle avait péri.

*****

-"Isabel n'est pas là ?"

Henri embrassa Barbara et lui désigna une chaise du comptoir.

-"Non, elle n'est pas sorti de chez elle depuis l'enterrement de sa mère."

Elle ne remarqua que peu les discussions qui s'arrêtèrent lentement dans le bar, aux aguets.

-"Elle est certaine qu'elle fait partie de ses meurtres classés sans suite, comme le médecin et sa cousine."

Finalement elle les remarqua, ses silences pesants, ses regards perçants.

Elle se tourna lentement vers les hommes et femmes du bar aux couleurs fades qui ne pipaient mots, assis à leurs tables.

Henri se racla la gorge.

-"Ce n'est qu'un moyen pour elle de gérer son deuil." Tenta-t-il de dire et heureusement la rouquine hocha la tête, décidant de changer de sujet.

Draco paya son café, se leva, sortit.

Il devait aller la voir. Pourquoi était-elle dans absolument tout ce qui se rapportait à cette affaire de Mangemorts ? Il semblait que quelque chose lui échappait.

Était-elle descendante d'un sorcier important ? Détenait-elle quelque chose qu'ils désiraient ?

Qu'avait-elle de si spéciale pour que tous se tournent vers elle ?

Il mit ses mains dans ses poches, soufflant dans le froid, tourna une fois à droite et deux fois à gauche, leva les yeux devant l'immeuble défait, sale, entra sans plus y penser.

Monta les étages sans plus y penser. Oui, il allait fouiller son appartement. Le sonder en utilisant sa magie pour détecter le moindre objet susceptible d'être intéressant.

Il s'avança devant sa porte d'entrée et alors qu'il posait sa main sur la poignée, il hésita, la laissant en suspens.

Puis entra, passant sa baguette sur la serrure pour la déclencher.

La pièce était sombre, plongée dans le noir, les volets fermés.

Il s'avança plus encore, grimaçant en voyant les assiettes posés ça et là sur le comptoir de sa petite cuisine. Il aurait dû ramener des gants pour éviter d'avoir affaire aux saletés moldues.

Son regard se posa sur une silhouette frêle et grelottante, dans la pièce glaciale, avachie dans un coin du salon, entre le canapé et la lampe éteinte.

Il s'y approcha, hésitant. Était-ce un animal de compagnie ? Un chien ? Il détestait les chiens.

La silhouette releva la tête, ses longs cheveux cachant son visage fin.

-"Draco." Souffla-t-elle d'une voix rauque et il la reconnut.

Il s'accroupit près d'elle, silencieux, passant son doigt entre ses mèches pour les dégager de devant ses yeux.

-"Tu fais pitié, comme ça." Remarqua-t-il.

Elle renifla peu élégamment, ses yeux commençant à se gonfler.

-"Tu n'as plus d'argent ?" Il leva la tête. "Où est passée la lumière ?"

Elle ne dit rien, gémissant comme un enfant.

Il leva les yeux, essayant de chercher dans cette pénombre un objet susceptible de l'aider à comprendre, mais il ne voyait rien.

-"Tu es venu." Elle se mordit la lèvre inférieure, essayant de garder contenance, mais Draco s'en fichait.

-"Pleure." Dit-il alors, peu intéressé. "Je ne verrais rien, il fait trop sombre."

Il fixa ses joues qui lentement se trempèrent, silencieuse. Elle posa sa tête sur son épaule et il leva son bras pour la dégager.
Mais, sentant les soubresauts de son corps tout entier sur le sien, il abandonna, soupirant de sa bonne conscience.

Il irait voir lorsqu'elle dormirait.

Oui, elle pensait qu'il était venu par bonté, lui savait qu'il était là par intérêt.

Si quelque chose ici avait de la valeur pour les Mangemorts, il devait le trouver avant eux.

Isabel renifla une énième fois, sa tête lourde sur l'épaule dure de Draco.

Elle savait qu'il n'était pas là par bonté. Draco ne faisait jamais rien par bonté, d'aussi peu qu'elle le connaissait.

Il venait peut-être parce qu'Henri le lui avait ordonné, ou qu'il voulait se moquer d'elle. Peut-être parce qu'il s'ennuyait.

Mais, qu'elle qu'en fut la raison ou la cause, il avait finit par être là. Et c'était tout ce qui lui importait.

Il était le seul à avoir oser venir, parce qu'il était le seul à se ficher d'elle.

Elle ferma les yeux, tentant d'apaiser les mots de son coeur.

Et tandis qu'elle sentait l'épaule du garçon se détendre légèrement, son coeur s'alourdit, cessant d'espérer.

Et ses larmes cessèrent de rouler, les yeux clos.

𝕯𝖎𝖆𝖇𝖔𝖑𝖔 𝖒𝖊𝖓𝖙𝖍𝖊 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant