~Seven

497 44 41
                                    

-"Laissez-moi le voir, je veux le voir !"

Elle avait beau se débattre, griffer les bras de ceux qui la retenaient, elle avait la sensation de se noyer sans pouvoir tendre les bras vers la surface, comme une ancre tentant vainement de se libérer des chaînes qui l'entravaient.

-"Colin !" Sa voix semblait se briser comme un miroir en milliers de morceaux tranchants qui restaient coincés dans sa gorge si délicate. "Je veux le voir !"

Son père la poussa sur le sol, l'envoyant glisser sur le carrelage gelé, les larmes roulants sur ses joues trempés.

-"Cesse d'être aussi insupportable et comporte-toi en adulte." S'écria-t-il en se retenant de s'énerver davantage.

Mais c'était le hic, justement.
Elle n'était pas adulte.

Elle regarda les battants du bloc opératoire, ouverts, et entrevit le visage défait de sa mère qui contemplait celui qui y gisait, blanc comme le linge qui le recouvrait.

C'était fini.
Elle ne le verrai plus, ne sentirai plus sa main dans la sienne, son regard malicieux se poser dans le sien.

Son père entra à son tour, et les portes du bloc se refermèrent, seul bruit rompant le silence qu'elle avait instauré dans sa tête pour ne pas écouter hurler à la mort.

Elle se releva, comme un pantin désarticulé, et s'approcha des fenêtres qu'il y avait, s'agrippant aux parois pour tenter d'apercevoir l'intérieur.

Sa mère s'effondrer dans les bras de celui qui l'avait rejetté tandis que d'une main rageuse il essuyait les larmes sur ses joues traîtresses.
Les sanglots incontrôlés de la femme qui venait de perdre son enfant, et ceux de celle qui ne semblait pas apparaître dans ce tableau sinistre.

Et, finalement, l'homme en blanc qui lentement recouvrit le visage qu'elle ne voyait pas d'un drap blanc qui ressemblait étrangement au linceul qu'il allait certainement recevoir.

La main en sortit, se balançant dans le vide, tentant de s'échapper du destin funèbre qui l'attendait au-delà des portes qu'ils allaient franchir.

Blanche comme le collier de perle d'Isabel, qui s'y agrippa pour ne pas éclater en larmes dans le couloir froid.

Et son collier éclata, ses perles roulants sur le sol en une cacophonie qui fit écho à son coeur qui explosa dans sa cage, silencieusement tandis que tous disparaîssaient derrière des battants qu'elle ne pouvait atteindre.

*****

-"Isabel."

La jeune femme, les yeux gonflés et encore à moitié endormie, fronça les sourcils en voyant une silhouette familière se tenir sur le canapé.

-"Papa ?" Murmura-t-elle en bâillant et sa vision s'éclaircit.

-"Bon Dieu." Souffla-t-il en se levant et s'approchant d'elle. "Que t'est-il arrivé ?"

Elle tourna la tête vers le miroir dans la salle à manger et grimaça, regardant ses blessures qui cicatrisaient lentement.

Sa lèvre fendue, sa joue légèrement gonflé, son oeil au beurre noir.

-"Rien, je suis tombée dans les escaliers hier soir, la lumière marche pas."

Il leva un sourcil, peu convaincu, mais elle s'éloigna pour aller chercher du lait avec les céréales qu'elle tenait en main et il n'eut d'autres choix que d'abandonner, soupirant lâchement.

-"Je viens te prévenir qu'on part en voyage, ta mère et moi."

Elle leva les yeux vers les siens.

-"Vraiment ? Où ?"

Il sembla éviter son regard, fixant les meubles poussiéreux.

-"France, certainement. Voir la famille, tout ça."

Elle hocha vaguement la tête et s'affala sur une chaise autour de la table.

-"Vous rentrez quand ?"

-"Dans un mois, je pense."

Il pensait.
Ce qu'il pensait était généralement le minimum, et ils partaient le plus souvent deux ou trois mois, durant la période d'août jusqu'à octobre.

-"Bien. Je pourrai vous contacter."

-"Je viens te donner un numéro que tu pourras composer pour nous avoir."

Il s'avança et lui tendit une feuille griffonné d'un numéro.

-"Ça va me coûter cher, de vous appeler ?" Elle releva les yeux vers les siens. "Puisque vous serez dans un autre pays."

Il grimaça.

-"On te remboursera les frais, ne t'en fais pas."

Avec quel argent, avait-elle envie de dire.
Son travail de directeur financier rapportait, mais sa mère qui avait quitté son travail de directrice administratif dans la même entreprise, laissant son père gérer seul leur argent.
Payer son appartement ainsi que l'entretien de la tombe de son frère, le centre de retraite de sa grand-mère et les soins psychologiques de sa mère lui revenaient cher.

-"T'en fais pas, je vous appelerai une fois par mois, histoire de prendre de vos nouvelles." Elle eut un léger sourire et il vint lui embrasser le front.

-"On reviens bientôt, Mint. C'est promis." Elle hocha la tête et il s'écarta.

Sans un mot de plus, il attrapa son sac et sortit de l'appartement, faisant trembler les murs lorsqu'il claqua la porte.

Et le silence revint exactement comme il avait disparu : soudainement.

Elle attrapa son lait et en versa de nouveau, les yeux dans le vague.

Elle ne sentait pas son oeil la brûler, sa lèvre se plisser sous un sourire amer.

Décidément, elle avait peu envie d'y retourner, à ce maudit bar entre Élise et Pigma.

Mais quelque chose, là-bas, lui rappelait elle sans qu'elle ne sache quoi. Peut-être était-ce ce silence alors qu'il y avait tant de monde. Ces envies qui se réfrénaient et se taisaient pour finalement exploser au moindre bruit.

Elle aussi avait envie d'exploser.

Au moindre bruit.

Mais elle reposa son bol dans l'évier, retourna se doucher, s'habiller, mettre ses vêtements d'infirmière.

Et, comme absolument tous les jours depuis déjà trop longtemps, elle fit le même chemin, sourit aux mêmes passants, attendit aux mêmes feux rouges, et alla s'asseoir au même bureau.

𝕯𝖎𝖆𝖇𝖔𝖑𝖔 𝖒𝖊𝖓𝖙𝖍𝖊 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant