~Fifty-seven

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Le deuil, je ne pouvais l'endurer.

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-"Un diabolo menthe."

Henri leva les yeux vers Isabel qui s'était assise seule au fond du bar.
Il se tourna vers les habitués qui ne faisaient même pas attention, continuant leur houleuse discussion.

Il vint le lui servir et regarda ses cernes sous les yeux et ses lèvres sèches et gonflées.

-"Tu as mal dormi." Constata le garçon.

Elle eut un sourire ironique.

-"Non, j'ai même étonnamment bien dormi, entre sept heures et sept heures une."

Il soupira, abandonna l'idée de lui parler, repartit s'occuper de ses verres.

Elle avait passé la nuit à ressasser, à réfléchir. Sur elle, sur tout.
Sur lui.

-"Pansy, je te sers quelque chose ?"

Pansy. Isabel leva les yeux, fixa la femme qui venait de s'avancer dans le bar, s'asseoir sur la chaise haute.

-"Un café, s'il te plaît."

Isabel pencha la tête, la détailla. Oui, elle voyait la différence. L'écart immense entre elle et cette sorcière au teint pâle.

Il y avait ce creux, qui ne s'amenuisait pas. Elles venaient de deux mondes opposés, et si elle avait la grâce d'entrer aisément dans son monde de moldus, Isabel ne pouvait escompter d'approcher du sien.

Pansy sembla sentir ce regard pesant sur elle car alors elle se retourna, fixa Isabel avachie dans le fond du bar avec sa paille entre les dents.

Elle la toisa, de haut en bas puis de bas en haut sans une once de méchanceté ni pour autant d'intérêt.

Elle détourna la tête, attrapa sa tasse pour la porter à ses levres.

-"Je comprends pourquoi tu ne m'aimes pas."

Pansy grinça des dents, ne daigna pas se tourner vers Isabel qui s'était approchée.

-"Je ne suis pas comme vous. A tes yeux, je ne suis rien de plus qu'un nourrisson qui ne sait ni parler, ni marcher."

Pansy ne dit rien, les autres baissèrent la voix, commencèrent à écouter leur conversation qui ressemblait plus à un monologue.

-"Cela dit." Continua-t-elle avec plus de véhémence. "Ici, à Londres, c'est vous les étrangers. Alors si tu n'aimes pas les liens que je peux avoir avec quelqu'un comme toi, commence par te demander si tu es au bon endroit." Elle pencha la tête, attendit une quelconque réaction. "Je n'attend pas ton affection. Je veux juste que tu comprennes qu'ici, tu es chez moi."

Pansy reposa sa tasse sur son assiette, inspira longuement, fixant les verres face à elle.

-"Tu m'as l'air d'être une moldue très appréciée, au sein des tiens." Répondit-elle finalement de sa voix suave. "Je n'ai jamais dit que je ne t'aimais pas, Isabel Leigh. Je ne veux pas que tu te fasses des illusions sur Draco, voilà tout." Elle se tourna lentement vers elle, son regard se posant dans le sien. "Tu ne le mérites pas."

Elle posa des pièces inconnues sur le comptoir et lui sourit avant de se lever, d'ajuster sa jupe et de sortir du bar.

Isabel la regarda partir, la mâchoire contractée.

Elle ne voulait pas Draco, de toute façon, c'était ridicule de penser qu'elle le désirait.

Mais si quelqu'un ne méritait pas l'autre, ce n'était certainement pas elle. Ses pouvoirs ne définissaient pas sa valeur.

Elle sauvait les autres - du moins tentait. Elle avait voué sa vie à sauver les autres au dépend d'elle-même. Avait voué sa vie à sauver ceux qui pouvaient être sauvés pour se sentir digne de son frère qui n'avait pas pu l'être.

Avait voué sa vie à rendre ses parents fiers même s'ils n'avaient d'yeux que pour la tombe dans leur jardin et qu'elle avait vu leurs dos plus que leurs visages, jeune enfant perdue dans un monde trop grand pour elle.

Avait dévoué son être tout entier aux autres parce que leurs sourires réchauffaient son coeur si froid.

Leurs rires la faisaient rire, leur bonheur suffisait à faire le sien.
Du moins était-ce ce qu'elle s'efforçait de croire, seule dans sa chambre tard le soir.
Que connaissait-elle d'elle, cette sorcière au nez trop poudré et aux yeux trop parfaits ?

Non, il était vrai qu'elle était différente d'elle, différente d'eux. Elle était faible, ne savait pas voler, ne savait pas jouer avec les mémoires, faire voler les verres. Ne savait pas tuer.

Elle ne servait à rien, sans doute, dans leur monde si magique, si féerique. Sans doute avaient-ils des sorts pour réveiller les morts.

Mais dans son monde à elle, dans son petit monde de ridicules moldus, elle avait voué sa vie à les aider parce que personne n'avait réussi à l'aider elle.

Elle méritait Draco. Elle était certaine de le mériter, quoi qu'il avait fait pour son monde, qui qu'il était. Elle méritait tout ce qui faisait partie de lui tout autant qu'il méritait tout ce qui faisait partie d'elle.

Mais elle ne le voulait pas.
Alors ça ne servait à rien d'être énervée par des propos idiots, si ?

Elle tourna la tête vers ceux qui immédiatement retournèrent à leur discussion passionnante, puis vers Henri qui se mit à siffler en fixant le plafond.

-"J'y vais." Elle se racla la gorge, posa des pièces sur le comptoir, admira celles qu'avait posées Pansy.

-"Ce sont des gallions." Expliqua Henri en la regardant. "Notre monnaie."

-"Je vois."

Elle eut un sourire en pensant qu'ils étaient bel et bien différent d'eux.

Elle alla chercher son manteau au fond du bar, revint pour sortir, ses chaussures claquant sur le sol.

Lorsque la porte se referma derrière elle, Henri arrêta de nettoyer son verre et l'admira par la vitre, s'éloigner, traverser.

-"Luke."

Henri cligna des yeux, comme sorti d'un long rêve, et se tourna vers la porte qui venait de s'ouvrir.
Les habitués se levèrent, vinrent saluer leur vieil ami qui eut un léger sourire.

-"Tu es revenu d'Askaban ?" Demanda l'un d'entre eux.

Luke hocha la tête, croisa le regard d'Henri qui le salua.

Et immédiatement son sourire s'effaça.

𝕯𝖎𝖆𝖇𝖔𝖑𝖔 𝖒𝖊𝖓𝖙𝖍𝖊 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant