~Four

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-"On besoin d'une infirmière dans la salle d'opération."

Le mot se répéta partout, dans toutes les salles d'accueil jusqu'aux oreilles d'Isabel qui fit semblant de n'avoir rien entendu.

-"Isabel."

Elle leva ses yeux de chiens battus vers sa supérieure qui eut une grimace.

-"Vas-y. On s'occupe d'ici."

Elle ne voulait pas. Soigner les blessures d'un garçon était une chose, tenir les pinces qui servaient à l'écarteler en était une autre.

-"Bien madame."

Elle laissa son bureau à sa supérieure qui prit le relais, alla chercher du gel pour se nettoyer les mains, des gants que lui donna un médecin devant la salle d'opération, et regarda les battants fermés.

                            *****

5 juin 1997, Londres, Royaume-Uni.

-"Il va s'en sortir, n'est-ce pas ?"

Isabel leva les yeux vers son père qui faisait les cent pas devant la salle d'opération.

-"Bien sûr, c'est le meilleur hôpital de tout Londres." Sa mère lui fit un doux sourire sans savoir qui elle tentait de rassurer.

Sa main se posa sur celle de sa fille, tremblante, et elle ferma les yeux avant de murmurer des prières qu'elle espérait être entendues.

Isabel eut l'impression que cela faisait des jours qu'ils attendaient derrière ces maudits battants qui la séparait de son petit frère.

-"C'est juste l'appendicite, tu l'as déjà eu, je l'ai déjà eu, ton père l'a déjà eu." Sa mère ouvrit de nouveau les yeux. "Il va revenir comme neuf."

Isabel ne dit rien, parce qu'elle ne savait pas quoi dire.

Il n'y avait aucune raison qu'il ne s'en sorte pas.
Mais avait-ce été aussi long pour son opération à elle, lorsqu'elle était enfant ? Elle n'en était pas certaine.

-"Madame et Monsieur John Leigh."

-"C'est nous." Cria presque son pauvre père qui s'était finalement arrêté de marcher comme un lion en cage.

Le médecin regarda sa feuille un instant avant de soupirer et de relever les yeux vers eux, le visage grave.

-"Alors ?" Sa mère se leva, lâchant les mains de sa fille qui retombèrent sur le siège froid. "Comment va Colin ?"

Le silence.
Le lourd et long silence qu'Isabel ne voulait pas comprendre.
Un sanglot, peut-être, d'une mère qui savait. Qui sentait.

-"Je suis navrée, madame."

La voix grinçante de l'homme qui venait de tout détruire, de briser le miroir propre et lisse.

-"Il n'a pas survécu à l'opération."

Le déni, finalement.

Et l'acceptance.

                               *****

-"Ciseaux."

Isabel regarda la tête de la petite fille qui dormait, respirant avec ce masque qui l'empêchait de se réveiller.

-"Ciseaux !" Cria le médecin en chef et elle sembla se réveiller d'un long rêve.

Elle les attrapa et les lui donna, sa main tremblante peinant à les garder en main.

Elle détourna le regard alors qu'il commençait l'opération.

Admira les murs blancs, les gradins au fond réservé pour la famille, comme un spectacle sanglant.

-"Je commence la percée."

Se boucher les oreilles. Ne pas écouter. Ne pas sentir l'odeur nauséabonde et qui prenait aux tripes.

-"Scalpel." Elle les attrapa et le lui donna en se focalisant sur ses mains gantées remplies de sang.

Fixer les murs blancs. Les gradins vides.

Ne pas écouter. Ni le bruit des ciseaux, ni les murmures des uns et des autres, ni le bruit de la machine qui s'emballait.

Et puis le silence, complet. Lourd et long.

Le déni, tout d'abord, en se tournant vers celle qui dormait désormais à jamais.

Et puis l'acceptance.

                              *****

-"Un diabolo menthe."

Elle regarda le bar complètement désert à une heure aussi petite.

Elle avait faim, n'avait pas mangé le midi, avait demandé une permission pour partir en avance. N'avait pas pu supporter.

Avait regardé sa tenue d'infirmière, une petite tâche de sang sur le dos qui avait sans doute atterrit là après qu'une médecin lui ai gentiment tapoté l'épaule pour lui dire de sortir. Elle l'avait donné à un pressing pour qu'il la nettoie alors même qu'elle aurait pu le faire elle-même.

Mais elle n'en avait pas la force.

-"Vous avez l'air toute pâle." Commenta le serveur en lui donnant sa boisson.

Isabel releva ses yeux gonflés et rougis et eut un léger sourire.

-"Longue journée."

Il lui sourit en retour et retourna s'occuper de ses affaires pendant qu'elle amenait la paille à ses lèvres gercées.

Le bruit singulier de la porte qui s'ouvre et se referme. Celui des pas qui se rapprochaient.

Elle n'avait pas envie de savoir qui c'était, bien que cet ivrogne était là extrêmement tôt.

Cette fois-ci la personne ne demanda rien. Le serveur le lui apporta comme à chaque fois, et elle aperçut du coin de l'oeil le café fumant.

Avec un léger sourire ironique, elle se dit que c'était certainement le destin qui avait une drôle de façon de lui remonter le moral.

Draco l'avait vu, lui aussi.
Avait soupiré, devant le bar. Puis était rentré, parce que c'était son bar et qu'une moldue dans son genre ne lui faisait pas peur. Il avait qu'à l'ignorer, comme à chaque fois.

Il avait trouvé ça stupide, la dernière fois, de partir comme ça. Il avait été malade durant trois jours et avait espéré que durant ce laps de temps elle n'ait pas prit le contrôle du bar qu'il chérissait tant.

Mais elle restait là, peu après midi, la peau translucide, les cernes noires et grosses comme deux vifs d'or, le regard vide.

Il était ravi qu'elle ne parle pas, pour une fois.

Ravi aussi qu'elle ne le regarde pas. Ravi qu'elle ne se souvienne peut-être même pas de lui.

-"Ça va, la journée ?" Le serveur regarda Draco tout en essuyant ses verres, regrettant que la magie ne puisse être utilisée devant des moldus parce qu'il aurait bien eut envie d'un coup de baguette pour l'aider dans sa tâche ardue.

-"La routine." Répondit le garçon de sa voix morne tout en faisant tourner en boucle sa cuillère dans sa petite tasse. "Ha, non. Ma mère m'a dégoté une fiancée."

Il y eut un silence, dans le bar. Le serveur grimaça, compatissant.

-"Deux vodkas."

Il se tourna vers la jeune femme et les lui versa dans deux petits verres.

Elle en glissa un vers Draco, assis à deux chaises d'elle. Ne dit rien. Ne le regarda même pas. Elle but le sien d'une traite, le reposant violemment sur le comptoir.

Puis entendit le bruit singulier de l'autre qui faisait de même.

Et se sentit quelque peu mieux, dans ce bar miteux.

𝕯𝖎𝖆𝖇𝖔𝖑𝖔 𝖒𝖊𝖓𝖙𝖍𝖊 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant