Chapitre 1 - Commandant Durant, gendarmerie nationale

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"Hello darkness my old friend, I've come to talk with you again..."

La sonnerie du portable de Paul venait de le sortir de sa rêverie. Ce matin, il ne travaillait pas et profitait d'une matinée de farniente. Affalé dans le canapé, une tasse de café brûlant entre les mains, il dégustait le nectar par petites gorgées.

...." And the vision that was planted in my brain still remains, within the sound... »
Mais qui pouvait bien chercher à le joindre de si bonne heure ? Il se redressa et attrapa de sa main libre le téléphone posé sur la table de salon devant lui.

- Allo ? Monsieur Carmin ?

- Allo, oui, c'est bien moi.

- Monsieur PAUL Carmin ?

- oui, je suis Paul Carmin, à qui ai-je l'honneur ?

- Commandant Durant, Gendarmerie Nationale

- ...

La Gendarmerie Nationale. Ce type d'interlocuteur est de nature à éveiller tous les instincts. Paul se redressa pour poser sa tasse de café sur la table, inquiet.

- Connaissez-vous Mademoiselle Duchêne Emilie ?

- Oui, bien sûr, c'est ma petite amie, nous vivons ensemble. Pourquoi me demandez-vous ça ? Il lui est arrivé quelque chose ?

Les mots « gendarmerie nationale » suivis du nom de sa compagne dopaient son affolement.

- Mademoiselle Duchêne a été victime d'un accident de la circulation sur la route départementale quarante cinq. Elle a été prise en charge par les pompiers qui la dirigent vers l'hôpital d'Auzances.

- Comment ça un accid', un accident ? Mais ? Qu'est ce qu'elle a ? Elle est blessée ? Comment elle va ? Qu'est-il arrivé ? Paul avait presque hurlé cette dernière question.

- Je suis désolé Monsieur Carmin, mais nous ne sommes pas habilités à fournir ces renseignements par téléphone. Vous devriez vous rendre à l'hôpital dont je vous ai parlé.
Clic.

Le commandant venait de raccrocher.

Paul tenait toujours son téléphone serré contre son oreille, abasourdi par la nouvelle. Il attendait de plus amples renseignements mais la tonalité d'occupation égrenait son angoisse dans le vide. Le commandant de gendarmerie avait coupé la communication et laissait Paul patauger en plein émoi.

Assis dans son canapé, au beau milieu de son salon, il était pourtant perdu. Il lui fallut un moment pour prendre conscience de ce qu'il venait d'apprendre. Emilie avait eu un accident. Les pompiers l'avaient emmenée aux Urgences. Mais comment allait-elle ? C'était grave ? Pourquoi les gendarmes ne pouvaient-ils pas lui donner de nouvelles. Si elle était avec les pompiers c'est que c'était peut-être très grave ?

Toutes ces questions tournaient dans sa tête sans qu'il puisse y apporter de réponse.

Sa matinée de repos virait au cauchemar.

Les yeux dans le vague, sa main reposa le combiné à côté de lui. Son cerveau essayait de faire le point. Sa vie était en train de basculer. Emilie, un accident, il fallait qu'il file à l'hôpital, il fallait qu'il sache, vite.

Son inquiétude le paralysait et des flopées de questions affluaient et perturbaient sa prise de décision. Est-ce qu'il devait lui amener des affaires ? Que quoi allait-elle avoir besoin ? Des affaires de toilette, des vêtements ? Mais non, pas encore, sa carte Vitale ? Elle l'avait sûrement dans son portefeuille, dans son sac à main. Tout s'embrouillait.

La route jusqu'à l'hôpital n'était pas très bonne, il devait partir maintenant. Il se leva du canapé et, comme un automate, se dirigea vers la porte d'entrée, saisit les clés de la voiture, suspendues au mur et sans même jeter un coup d'œil à sa tenue et à sa coiffure, ouvrit la porte de l'appartement et s'engouffra dans le couloir.

La porte de l'appartement se claqua toute seule. Il courait à son véhicule, vêtu d'un informe survêtement bleu délavé et d'un t-shirt blanc.

Le visage hagard, il parcourut les quelques kilomètres de route tortueuse qui le séparaient de l'hôpital. Son esprit vagabondait. Il imaginait des coulures de sang le visage de son amoureuse. Il devinait ses bras et ses jambes dans le plâtre. Pire encore, il se représentait Emilie, allongée, inerte avec des fils multicolores qui suçaient ses veines avec, pour piètre réconfort, le ronronnement d'énormes machines qui berçaient sa narcose. Son esprit flirtait avec les pires scénarios sortis tout droit de séries télévisées.

Paul ne conduisait pas, l'œil hagard rivé sur la chaussée, il reproduisait machinalement des gestes ordinaires de la conduite. Les panneaux indicateurs défilaient sur le bord de la route. Il arriva à l'hôpital sans avoir prêté attention à la circulation. Sans doute avait-il effectué le même trajet que les pompiers un peu plus tôt. Arrivé devant l'hôpital, il fut surpris par la barrière automatique qui se souleva aussitôt, comme s'il avait été attendu.

La panique se faisait pressante. Il abandonna son coupé Allemand en bordure de parking. Son affolement, sa crainte prenait une ampleur exagérée et le poussait à courir jusqu'au hall d'accueil. C'était la première fois qu'il entrait dans cet hôpital. Cela ne faisait qu'à peine un an qu'il s'était « enterré » dans ce département rural du centre de la France.

Il se dirigea vers l'hôtesse, disponible et gracieuse qui lui indiqua, avec un sourire empreint de compassion, la direction des Urgences.

Le souffle court, il rattrapa de justesse l'ascenseur avant que les portes ne se referment. Sans jeter un seul coup d'œil aux deux vieilles dames déjà plantées dans la cabine, ses doigts fébriles s'enfoncèrent cinq ou six fois sur le même bouton de l'étage à atteindre.

Cette manœuvre n'avait aucun effet sur le résultat, mais elle lui donnait l'impression de faire accélérer la machine. Et c'est avec une lenteur, que seuls les gens pressés constatent, que les portes de l'ascenseur l'emprisonnèrent, pour quelques secondes seulement avec ses deux passagères éphémères. A peine le temps de lever les yeux sur les numéros d'étages qui défilaient, que l'appareil libéra Paul sur un couloir où des chariots métalliques sillonnaient les coursives, poussés par les bras musclés des brancardiers.

Des êtres en uniformes blancs grouillaient et affluaient de tous côtés.

C'est une banque d'accueil derrière laquelle se tenait une femme nonchalante qui fit barrage à sa course. Avant même qu'il ait prononcé un seul mot, l'infirmière à la blouse impeccable, qui appelait le respect, lui dit sans même lever les yeux sur lui :

- Un instant je vous prie.

Elle aboya ces quelques mots sur un ton clairement impératif.

Paul bouillait. Qu'est-ce qui le retenait de ne pas lui hurler dessus qu'il voulait voir son amie accidentée amenée ici il y a quelques heures. Mais ça ne servirait à rien. L'infirmière préposée à l'accueil effectuait son travail avec méthode. Minutieuse, elle ne faisait qu'une chose après l'autre et n'envisageait aucun empressement au service des visiteurs.

Il tenta de l'interpeller à nouveau.

- Madame, pardonnez moi, mais les pompiers viennent d'amener mon amie ici. Pourriez-vous me dire à quel endroit je peux prendre des nouvelles ?

L'infirmière au visage fermé leva enfin la tête en direction de Paul et le dévisagea. A sa triste mine affolée, ses habits froissés, elle souffla, pour bien lui montrer qu'elle allait faire une exception, mais ne pu s'empêcher de persifler entre ses dents que les pompiers amenaient toujours les accidentés ici...

- Bon allez ! Dites-moi comment elle s'appelle votre amie...

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant