Chapitre 75 - le spectacle était à la hauteur de ses espérances

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Qui étaient tous ces gens que Fanny retrouvait ici au lieu d'être à ses cours de l'autre côté de la ville ? Un sentiment de dénouement proche se profilait. Sa patience allait enfin être récompensée.

De cette abbaye, il n'avait jamais vu personne entrer ou sortir. En tout cas, il n'avait jamais remarqué d'agitation aux alentours de ces bâtiments. Sûr que ces hauts murs dissimulaient des choses que les personnalités de la ville ne souhaitaient sans doute pas déranger. A coup de poignées de billets, personne n'irait mettre son nez dans cette supposée cabale. Les clefs de la ville ne sont pas détenues par les gardiens de la république, mais par ceux qui possèdent le pouvoir, c'est-à-dire l'argent.

Impressionné par ce ballet d'inconnues qui affluaient des quatre points cardinaux, il constata que le trottoir, devant la bâtisse, s'était rempli en un rien de temps et était maintenant noir de monde.

Forcément, quelque chose était en train de se tramer derrière ces remparts.

Il ne quittait plus Fanny des yeux. Sa corpulence, hors norme, la rendait reconnaissable de loin, parmi les autres.

Soudain, comme si ces filles faisaient partie d'une ronde parfaitement coordonnée, elles se passèrent un foulard bleu et doré par-dessus la tête, et franchirent les murs de la forteresse de pierre, par une petite porte cochère.

En quelques secondes, Paul se retrouva seul, à espionner un trottoir redevenu désert. Il attendit encore quelques instants, pour ne pas être surpris par une retardataire, et se dirigea à son tour vers la petite porte romane.

Lorsque sa main appuya sur la poignée, celle-ci céda et le penne libera l'ouverture de la porte. Trop facile. Si facile d'ailleurs que cela aurait dû éveiller ses soupçons.

Derrière ces murs, se cachait un joli parc, préservé des regards. Au centre une fontaine laissait s'échapper de petites allées bien entretenues, qui découpaient le sol en parcelles de couleurs vives et où des plantations multiples, ornaient la terre de couleurs bariolées.

Sur le plateau supérieur de la fontaine, des gargouilles crachaient des jets d'eau, qui chantonnaient en retombant dans le bassin, en dessous. Paul aurait aimé profiter de cette ambiance bucolique et sereine, dont l'accès ne semblait réservé qu'à quelques fidèles. Autour du jardin, une galerie desservait de nombreuses portes de bois sombre. Les arches de pierres, ciselées de barbacanes, toutes savamment sculptées, préservaient la circulation des habitants du lieu. Tout concordait, il ne pouvait être que dans une secte et s'il était démasqué, sa présence ne serait certainement pas approuvée.

Dans le couloir, il choisit une porte au hasard pour coller son oreille contre l'un des battants. Il lui semblait entendre un prêche, dans une langue où il ne reconnaissait aucun mot. Pour assouvir sa curiosité, il entrebâilla la porte.

Le spectacle était à la hauteur des ses espérances.

Cette porte de bois sombre abritait d'étranges activités.

Les filles qui se trouvaient un peu plus tôt sur le trottoir étaient toutes réunies dans ce temple de l'horreur où une espèce de pantin, au visage dissimulé derrière un masque bleu monstrueux, agitait ses mains qui tenaient des os de tibia.

Les gourous de sectes ne savaient décidément plus quoi inventer ! La situation était assez épique pour qu'il batte des paupières, plusieurs fois comme pour nettoyer ses yeux du folklore auquel il assistait.

Et les adeptes, assises de chaque côté de l'immense table centrale, semblaient s'extasier et vénérer leur maître. D'ici qu'elles aient des louanges dans les yeux...

Dubitatif sur la farce qui se jouait devant lui, il hésita un moment avant d'immortaliser la scène sur son téléphone. Il aurait pu refermer doucement la porte et rebrousser chemin jusque dans la rue, mais son appétence pour l'étrangeté lui interdit de battre en retraite. Il voulait rapporter une preuve. Et puis, il ne quittait pas des yeux une femme, un peu plus épanouie que les autres, qui semblait, elle aussi, glorifier le taré qui gesticulait sur la scène.

La lumière rouge dans le coin de son écran lui indiqua que la caméra filmait l'hérésie.

Tous les sens de Paul étaient en alerte. Son cœur donnait des ruades rythmées dans sa gorge et provoquait des soubresauts qui faisaient onduler sa main qui tenait l'objectif. Il n'en revenait pas de ce qui se déroulait sous ses yeux. L'appréhension mêlée à la satisfaction de ce qu'il enregistrait, lui fournissaient tous les ingrédients pour l'encourager dans son enquête sur Fanny. Quand il lui montrerait cette vidéo, il faudrait bien qu'elle se livre. Là, il était en train d'assister à quelque chose de lourd.

Sa respiration s'arrêta presque lorsqu'il vit Fanny s'approcher du fou indigo et que l'hurluberlu enserra la tête de sa protégée d'un cordon et serra d'un coup sec, comme s'il voulait l'étrangler. Croyait-il assister en direct à un meurtre, ou bien était-il devant un simulacre.

C'est sans réfléchir qu'il se leva d'un bond pour secourir sa bonne amie des agissements dangereux du gourou. Le bruit attira l'attention de deux femmes près de lui, totalement décharnées, dont les têtes étaient recouvertes d'une capuche noire. Elles se dressèrent devant lui en barrage. Terrorisé mais fier d'avoir filmé toute la scène, il fit face à ces deux copier-coller de Sarah et Roseline. Lorsqu'il vit les visages fades et les yeux creusés de noir perdus au fond de leurs orbites, il eut un mouvement de recul, mais n'eut pas le temps de s'enfuir qu'un spectre lui tenait déjà le bras d'une poigne assassine. Au contact de cette main sur son avant bras, sa vision se brouilla...

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant