Chapitre 51 - Oui, je le veux

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Elle ne pouvait admettre que cet homme aux traits burinés, aux mains épaisses et dures, à la nuque rougie par le travail aux champs, allait devenir son mari. Ce n'est pas de ça dont elle avait rêvé quand elle était chez les sœurs. Jamais personne ne l'avait prévenue qu'elle devrait un jour souffrir sous le poids du corps d'un homme qu'elle haïssait. Ça ne faisait pas partie des rêves d'une jeune femme.

Et pourtant l'avenir lui prouva que l’impossible pouvait arriver.

Un ciel rebelle avait, pour la célébration de ses noces, déversé des trombes d’eau comme pour montrer toute la détresse de Fanny. Elle aurait pourtant aimé la cérémonie, la robe que son futur époux avait choisit pour elle à la ville, le repas qui avait suivi. Si seulement on n'avait pas ligoté son annulaire à celui d'un monstre.

Elle avait traîné les pieds à ses épousailles, comme le condamné se rend à l'échafaud.

Quand le curé du village prononça la phrase tant attendue "voulez-vous prendre pour époux", le « oui je le veux » de Fanny était si faible qu'on aurait dit une petite fille. La mort dans l'âme, c’est à voix basse qu’elle articula les mots qu'on l'obligeait à formuler.

Alors que les invités félicitaient les jeunes mariés, Fanny, trop respectueuse pour ne pas répondre comme on lui avait appris, avait la voix qui défaillait quand elle tournait la tête vers cet ours auquel on venait de la lier pour la vie et dont elle allait devoir supporter les mots et les gestes.

Elle essayait d'esquisser un sourire qui réussissait à peine à relever la commissure de ses lèvres.

Les invités riaient, se moquaient, persuadés de deviner un trait de timidité. Ils n’imaginaient pas la souffrance de la jeune femme. Ils ignoraient assister à une fête de mariage où l’épouse partait pour l’enfer. Le vin coulait à flot et les notes joyeuses que le musicien distillait de son accordéon répandaient la gaité dans la grange où le banquet avait été dressé.

Aussitôt la fête terminée, Fanny découvrit son calvaire.

Il ne restait sur les tables que des miettes et des taches de vin, les invités avaient quitté leur place et foulaient la terre battue de la grange, c'étaient là les seules occasions où les hommes montraient un peu de tendresse envers leurs épouses et leur accordaient de danser avec elles. Comme la tradition le voulait, le "jeune" marié emmena sa jeune épouse sous les cris de joie et les applaudissements de la foule trop naïve. Eugène, qui n'avait connu que des filles de joies, qu'il finançait au prix fort, était trop heureux de pouvoir coller sur son ventre la peau douce et neuve de la jeune Fanny. Il riait en découvrant ses dents jaunes et sales et parlait fort. Fanny n'osait plus le regarder tant son dégoût l’écœurait.

Le couple rejoignit leur maison. Eugène, d'un pas ferme et sûr de lui ouvrait la route. Fanny suivait comme elle pouvait, la longueur de sa robe et ses chaussures peu adaptées aux cailloux du chemin ne lui permettaient pas les mêmes enjambées. Eugène qui ne se souciait pas de l'inconfort de sa toute jeune femme beuglait pour qu’elle se hâte.

Devant la petite chaumière, Eugène ne prit pas sa femme dans ses bras pour franchir le seuil de leur foyer. Une fois à l’intérieur, il consentit juste à lui désigner du menton la direction de la chambre.

Les parents d’Eugène avaient réservé la chambre du demi-palier pour le jeune couple. Fanny entra dans la pièce et déjà des larmes prenaient source dans ses yeux.

Eugène la regarda bien en face, ses yeux allaient et venaient de la tête aux pieds de ce corps qu'il venait d'acheter. Il décocha son plus beau sourire moqueur et narquois sans se soucier des pupilles inondées de larmes de Fanny. Alors il dit :

— Allez la belle, c'est le moment, déshabille-toi.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant