Chapitre 2 - La salle d'attente

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— Emilie Duchêne, D-U-C-H-E accent circonflexe-N-E.

— Un instant…

Elle cliqua sur l'écran de l'ordinateur, une fois, deux fois. Les centièmes de secondes duraient des heures, jusqu’à ce qu’enfin :

— Votre amie est au bloc, Monsieur. Il va falloir patienter. Ici je ne peux pas vous fournir d'informations.

Allez dans la salle d'attente au troisième étage, à droite au fond du couloir. C’est là que les familles attendent les nouvelles des patients admis en urgence.

Dépité, Paul remercia l'infirmière d'un sourire ordurier et prit la direction indiquée. Son parcours d'espoir s'allongeait en attente interminable. Abandonné dans son ignorance, Paul angoissait, dérouté par des paramètres imaginaires plus effrayants que la possible réalité. Il enchaîna corridors, escaliers, ascenseurs, jusqu’à la salle d'attente indiquée.

Déconfit, Paul s'assit dans la petite pièce aux couleurs tendres, ses mains bien à plat sur ses genoux, il fixait ses baskets sales et déchirées. Comment avait-il pu sortir comme ça ? Ses yeux parcouraient les jambes de son jogging et comme une ronce, chaque petite tâche qui ornait le tissu agrippait son attention. La honte finit de le submerger lorsqu'il constata son t-shirt déformé par trop de lavages à des températures mal calibrées. L'état pitoyable de sa tenue était en parfaite adéquation avec son mental. Le délabrement extérieur renvoyait, tel un miroir, l'image de son cerveau torturé. Mais aujourd'hui, il s’en foutait, et en plus personne ne le regardait.

Après ce constat déplorable, Paul se mit à étudier cette pièce aménagée de manière à tranquilliser l’attente des accompagnateurs.

La salle était rectangulaire. Trois fauteuils sur la largeur, à l’endroit même où il avait pris place, faisaient face à une petite table remplie de magazines. A sa droite, des reproductions de tableaux célèbres étaient fixées aux murs et surplombaient une rangée de fauteuils attachés les uns aux autres. Seule la couleur orange des sièges donnait de la gaieté à la pièce.

Ses efforts pour exalter les détails de la salle d'attente n'étaient qu'un subterfuge. Il fallait endiguer la capacité de ses méninges à se projeter vers un futur alarmant. Il luttait pour chasser de son imagination le médecin qui lui délivrerait la nouvelle qui allait le mettre à terre, lui défonçant la tête et le cœur.

Des larmes naissaient sous ses paupières. Il renversa sa tête en arrière et écarquilla ses yeux le plus possible pour que ses canaux lacrymaux ravalent leur trop plein. Il devait se concentrer sur autre chose. Arrêter sa folle imagination qui allait le rendre dingue.

Ses yeux se posèrent alors sur les occupants de la salle d'attente.

Trois sièges le séparaient de deux personnes à sa droite. Un homme d'une cinquantaine d'années, chauve, avachi sous un estomac proéminent était assis à côté d'un adolescent qui semblait être son fils. Agé de dix-sept ou dix-huit ans ou peut être moins tant ses cheveux ébouriffés lui donnaient un air juvénile, les yeux du jeune homme ne quittaient pas l'écran de son téléphone portable pendant que ses deux pouces cavalcadaient à une vitesse vertigineuse sur le clavier.

Devant la salle d’attente, quelqu’un faisait les cents pas. C’était une femme, elle aussi aliénée à un téléphone portable dont la tonalité lugubre de la sonnerie, amplifiait son angoisse comme elle devait aussi pétrifier ses collègues d'espérance.

Paul, se recentra sur la petite pièce dans laquelle ils étaient parqués.

Plus loin, tout près de la table basse aux revues insipides, une femme seule avait pris place. Recroquevillée sur elle-même, elle patientait, le bout des fesses assis au bord du fauteuil comme si elle refusait de s'installer dans un confort inapproprié. Elle avait replié ses tibias, en biais sous son siège, comme résignée.

La femme du couloir passa à nouveau devant la porte. Paul dévia son attention sur ses allées-venues. Toutes les occasions étaient les bienvenues pour tenter d’échapper à ses démons.

Trop tard. Il ne réussit qu’à voir ses vêtements. Elle portait une jupe assez longue qui masquait une forte corpulence.

Les mains de la femme du fond de la salle d’attente feuilletaient une à une les pages d’une revue où les textes et les images défilaient à un rythme régulier sans que jamais ses yeux fixes ne s'attardent sur les mots ou les photos. Son visage était fermé, elle était "ailleurs".

Ce matin ils étaient donc cinq, à partager l’ambiance surfaite de cette salle d’attente, à espérer l’arrivée d’un être vêtu d'une chasuble bleue ou verte en provenance du bloc chirurgical de l’hôpital d’Auzances.

Malgré la lamentable tenue vestimentaire de Paul, son apparence semblait être affaire de goût. Chaque fois que la grosse femme du couloir passait devant la porte, elle tournait la tête dans sa direction. Paul pu ainsi mettre un visage sur la curiosité du couloir. A plusieurs reprises,  Paul constata qu’elle ne détachait plus son regard de lui.

Soudain, alors que les patients alanguis perdaient leur humanité dans cette antichambre de la mauvaise nouvelle, un homme qui portait une sorte de pyjama de chirurgien passa la tête par la porte de la salle d'attente.

— Madame Mounard ?

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant