Chapitre 15 - une promenade bucolique

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Aussitôt réveillé, Paul les yeux bouffis par une nuit agitée au sommeil perturbé qui ne lui avait pas apporté le repos nécessaire, se saisit de son portable pour composer encore le numéro de l'hôpital. Ses doigts connaissaient par cœur les chiffres à effleurer et se déplaçaient à toute vitesse sur le clavier. Ce numéro, il ne voulait pas l'enregistrer. Il ne voulait pas qu'il apparaisse parmi ses contacts, ne surtout pas conserver ce souvenir ; ce qu'il voulait c'est chaque fois souffrir un peu plus en le composant.

Il put avoir en ligne directement le docteur Eluard. Celui-ci lui apprit qu'Emilie avait passé une bonne nuit.

Qu'elle n'avait pas fait de rechute, mais qu'aucun signe d'amélioration ne venait parfaire cette nouvelle.


Fatigué d'entendre cette même ritournelle, les yeux las, Paul raccrocha. Dépité, il récupéra ses clés pour rejoindre le chevet de l'accidentée, lorsqu'au passage devant le miroir, sa tête déconfite interpella son cerveau. Il devait être un minimum présentable, il avait "aussi" rendez-vous avec cette Fanny un peu plus tard dans la matinée.

Après une remise en question de sa tenue, il arriva dans le service de réanimation. Sans attendre, une infirmière lui tendit de quoi se vêtir pour entrer dans la chambre d'Emilie.

Les règles étaient strictes, revêtir la charlotte, le masque, la blouse et les couvres chaussures. La visite ne devait pas s'éterniser au-delà de dix minutes.



Déguisé en travailleur du secteur agroalimentaire, Paul se dirigea vers la chambre de sa compagne. C'était son visage mais ce n'était pas elle. Elle dormait d'un sommeil surnaturel, fabriqué par les opiacées que diffusait sa perfusion. Ses traits transpiraient la fatigue, l'épuisement, l'absence.

Voir Emilie dans ce lit, alors que c'était une fille si vivante, si énergique finissait d'accabler Paul. L'envie d'être auprès de nos proches lorsqu'ils sont contraints par une santé défaillante se heurte souvent à cette vision qui, plus que rassurer, désole voire effraie. Les dix minutes autorisées à son chevet étaient bien au-delà de son possible.

Lui dire quoi ? Faire quoi ? Elle dormait !

Devant ce manque de vie, Paul ne fut pas en capacité de prononcer quelques mots, comme ceux que l'on dirait à un enfant qui dort, un peu pour la bercer et peut être aussi la rassurer, sans la réveiller pour ne pas la fatiguer davantage. A quoi cela servirait-il ?

Voir son amoureuse, si passive alarmait ses sens. La colère montait. Il ne pouvait pas rester ici, il n'était d'aucune utilité. Il valait mieux qu'il parte avant d'exploser.

Il passa toutes les portes sans demander son reste, tant et si bien que l'infirmière qui lui avait tendu les vêtements de papier un peu plus tôt ne trouva que les protections en lambeaux tout près de l'entrée de la pièce réservée à l'habillage des familles.

Paul s'était enfui. Il avait besoin d'air, il avait besoin de se retrouver loin de l'oppression générée par les machines qui burinaient le corps d'Emilie.

Enfin dehors, il pouvait respirer à plein poumons, se ressaisir et récupérer un peu d'apaisement.



Quelqu'un avait laissé un journal sur le banc à quelques mètres de lui, il s'assit et parcourut, sans les lire, les pages régionales. Pourquoi avait-il poussé jusqu'aux pages nécrologiques ? En tout cas, c'est un encadré en gras qui retint son attention. Ce nom déjà vu lui sauta aux yeux. « La famille Bartuel a la douleur de vous faire part du décès accidentel de leur regretté fils Alexandre, survenu à l'âge de 16 ans. Fleurs naturelles uniquement. La famille ne recevra pas... Condoléances sur registre. Les obsèques se dérouleront le ... »

Alexandre Bartuel, ce nom figurait dans le téléphone de Fanny... Il en était sûr. C'était même le dernier nom de la liste qu'il avait eu le temps de voir hier... Décès accidentel... Hier soir il y avait eu un accident devant le restaurant... Bah, il ne savait pas si c'était un garçon ou une fille... Mais Fanny s'en était approchée...

Décidément, souvent des gens mouraient autour de cette femme mystérieuse.

Les yeux dans le vague, Paul se remémorait sa soirée de la veille avec Fanny, cette fille aux proportions trop généreuses, démesurées. Si quelques années en arrière, il ne se serait jamais montré avec ce genre de nana, aujourd'hui, il n'avait qu'une hâte c'était de la retrouver. Mais cela remettait en question sa capacité à juger ou être jugé d'après le paraître, l'aspect. C'est pour déceler les lourds secrets qu'elle dissimulait qu'il se faisait violence de la sorte.

Il n'eut pas beaucoup de temps à attendre. Fanny, radieuse, les cheveux soyeux dévalant sur ses épaules, vint en direction du banc où Paul attendait. Elle lui adressa un sourire ravageur.

« Bonjour, je ne suis pas en retard j'espère » dit-elle en se baissant pour embrasser Paul sur la joue. Le garçon surprit par l'impétuosité de la proximité détourna légèrement la tête. Alors les lèvres tièdes de Fanny vinrent effleurer cette de Paul. Le temps pendant lequel leur bouche restèrent collées l'une contre l'autre, parut une éternité à Paul. Pour Fanny, cet arrêt dans le temps était une bénédiction. Mais les lèvres tièdes de Paul se décollèrent aussi rapidement que s'il venait de se brûler. Un peu honteux, il n'osait plus regarder la jeune femme. Elle ignora sa gêne, aucunement embarrassée ou coupable de son geste.

Un ange passa.

Ce moment hors du temps envolé, Fanny s'assit à côté de lui. Elle posa sa pile de dossier sur ses genoux et sur le dessus, bien en évidence, son téléphone portable, celui-là même que Paul avait exploré la veille.

Les yeux figés sur l'appareil, Paul se racla la gorge comme coupable d'en avoir fouillé les entrailles, il tourna un peu la tête vers Fanny, mais tout doucement, ébauchant un sourire auquel Fanny s'empressa de répondre, le regard baissé, timide.

- Tu as quelque chose de prévu, Fanny aujourd'hui ? consentit à dire Paul, pas très à l'aise.

En fait, il lui aurait bien proposé un petit tour en voiture, mais le design de sa TT ne concordait pas avec la corpulence de sa passagère transitoire. Et, il ne voulait pas la mettre mal à l'aise à ce point, ce n'était pas l'objectif.

Ils se mirent ainsi d'accord pour une promenade bucolique dans le parc tout près de l'hôpital.

Fanny déambulait à ses côtés, visiblement joyeuse à l'idée d'avoir cet homme pour elle toute seule. Cela faisait maintenant un petit moment qu'elle n'avait pas mis le nez dans son téléphone. Elle se tortillait comme une enfant qui veut demander quelque chose et qui pense l'obtenir en faisant des manières.

Puis soudainement lâcha « Tu viens voir qui, toi, à l'hôpital ? et qu'est ce qu'il ou elle a ? » La phrase sortit Paul de ses pensées manipulatrices et l'image d'Emilie branchée sur sa couche de détresse se plaqua instantanément sous ses paupières. Il masqua son désarroi derrière un sourire forcé et répondit brièvement - Oh, je viens voir une amie, ... qui a une jambe cassée.


L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant