Chapitre 23 - Cette boîte de bois clair

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Comment s’habille-t-on lorsque l'on se rend aux obsèques de sa femme ? Un jean : trop décontracté, un pantalon de costard : trop classieu, un chino : trop ordinaire…

Devant le peu de temps qu’il avait à sa disposition et la nécessité de passer son visage par un rasage à blanc, il se décida pour un jean noir et une chemise blanche. Une veste de costard là-dessus, et l’affaire était faite.

L’envie de fuir le saisit à nouveau alors qu’il arrivait devant le bâtiment lugubre. Toutes ces voitures, tous ces gens habillés de sombre qui tranchaient avec toutes ces fleurs trop claires qu’Emilie n’aimerait pas.

Ses yeux ? à la recherche de ses parents, balayaient la foule, qui se pressait devant l’entrée. Il se dirigea vers eux et leurs bras aimants. Les yeux rougis et le sourire fade de madame Carmin, appelèrent Paul à se recroqueviller dans ses bras, tout contre son cœur comme il le faisait quand il était petit garçon pour empocher un peu de courage. Ses ex-futurs beaux parents l’accueillirent avec douceur pour compenser les mots qu’ils ne pouvaient articuler.

Le père d’Emilie, silencieux, conservait sa dignité mais ne desserrait pas les dents, il se contentait de soutenir Lorène qui, sans ses bras robustes, se serait effondrée.

Chaque fois que leur bouche s’apprêtait à consoler, le bas de leur visage se déformait sous les stigmates de leurs lamentations.

Paul baissa la tête sur ses pieds et ils marchèrent ensemble vers la bâtisse qui allait abriter les derniers instants d’un corps que ses yeux oubliaient déjà. La famille proche entrait la première dans ce lieu tiède, nourrit d’une douce musique.

Pourquoi s’attendait-il à ce que le froid règne à l’intérieur de la construction ? Il n’en savait rien. Son cerveau fit un parallèle indélicat entre la chaleur et le crématorium. Il regretta immédiatement sa pensée lorsque ses yeux se posèrent sur la forme allongée, placée au centre de la pièce et vers laquelle tous les regards convergeaient.

Cette boîte de bois clair fraîchement vernie contenait le corps de la personne en qui il avait placé tout son amour, tout son avenir et pour qui il avait stoppé toutes ses bêtises. Et cette femme là, elle l’abandonnait, elle le laissait tout seul face à ces gens qui peinaient à cacher leur curiosité. Une foule qui jaugeait la véracité des larmes des uns et des autres, conversait sur les tenues adéquates ou non à la cérémonie. Lamentable assemblée.

Paul se posta devant ce cercueil et ne bougea plus. Personne n’osa venir le chercher pour le faire asseoir. Il se tint debout devant le sarcophage intolérable qui emprisonnait Emilie pour l’éternité et qui emmurait sa vie.
La cérémonie se déroula sans que Paul ne bouge. Il assista, impassible, à l'entrée du cercueil dans les flammes. C'est alors seulement qu'il consentit à venir s'asseoir près de ses parents.

Lorsqu'un joli vase fut remis délicatement entre les mains de Lorène, celle-ci proposa à Paul de le tenir. Il ne répondit pas. Reclus dans un silence duquel il ne voulait pas s'extraire. Alors, Lorène maintenue par son époux, comme au jour de sa sortie de la maternité, regagna la sortie avec dans les bras les restes poussiéreux de sa fille.

Des personnes avaient salué Paul les unes après les autres, l’avaient embrassé, l’avaient réconforté, mais ces baumes platoniques ne l'apaisaient pas. Rien ne pouvait le soulager. Rien ne pourrait désormais plus le réconforter.

Seul être humain dans ce lieu déserté, Paul était resté assis, la tête penchée, les mains posées à plat sur ses genoux. Même ses parents avaient renoncé à l'emmener avec eux.

C'est alors qu'un homme vêtu sobrement, s’avança vers lui, les deux mains croisées sur le bas de son veston, il regarda Paul un instant avant de s'adresser à lui avec des mots simples. Les mots doux qui sortaient de sa bouche, lui intimaient de rentrer chez lui, qu’il ne servait à rien de rester dans ce lieu qui n’était que transitoire, qu'il n'y avait plus rien maintenant. Après un silence respectueux, l’homme lui suggéra de se tourner vers la maison accueillante d'un Dieu, d'une église ou d'un temple afin d'y trouver un réconfort. Tout en prononçant ces mots, il reconduisit Paul vers la porte avec douceur, un bras dans son dos pour l’accompagner sans brutalité. Le monologue prit fin avec une longue poignée de main qui permit de rétablir petit à petit le contact avec la vie extérieure.

Paul se retrouva sur le perron du crématorium.

Sur les marches, un visage familier, qu'il n'avait pas vu depuis bien longtemps, l’attendait.

— Rodrigue ?

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