L'audace du destin

Chapitre 58 - Roseline et Sarah

Fanny s'approcha d'un Paul dont les tempes luisaient déjà d'une sueur froide que lui provoquait le stress. Un sourire plaqué sur ses lèvres, elle le prit par la taille pour le conduire jusqu'au centre du salon.

- Dans sa belle robe bleue et or... C'est Roseline, présenta Fanny, tout en restant tout près de son amoureux.

Paul s'avança et étreignit la main squelettique de Rohini, qui esquissa le mouvement de se lever, mais qui n'en fit rien, laissant au nouvel arrivant l'obligation de s'approcher.

- Et voici Sarah, ..., la jeune sœur laissa traîner sa voix sans terminer sa phrase.

Saranyù, qui était avachie dans un fauteuil, prit soin de s'avancer d'un pas pour envelopper de ses longs doigts fins la main tendue de Paul. Le jeune homme serra les doigts chétifs qu'on lui présentait et déguisa la grimace, que la sensation de ces os sous la peau fine lui inspirait, derrière un sourire figé.

- Et je vous présente Paul, ajouta Fanny, qui avait retrouvé son entrain.

Rohini et Saranyù dévisageaient l'intrus sans mot dire, comme si elles scannaient les pensées du nouvel arrivant. Elles esquissèrent un rictus.

Paul était mal à l'aise, il envoya un « bonsoir tout le monde » toisé par le regard rebutant de ces deux femmes trop maigres. La froideur néfaste qui émanait de leur personne créait une chaleur moite sous sa veste. Cette humidité ajoutait à son mal être. Et alors le pressentiment que la soirée allait être longue se fit évidence. Il s'attendait à une soirée sympathique avec Fanny et voilà que ces deux nouvelles arrivées encombraient le salon.

Lorsque les flûtes de champagne furent distribuées, la tension retomba et l'ambiance prit une tournure plus sereine. L'espace de cet instant où les verres trinquaient à l'unisson, Paul se reprochait d'avoir stigmatisé ces deux filles. L'apparence. Toujours cette satanée apparence qui trop souvent le faisait s'emballer trop vite et avancer des déductions hasardeuses et souvent fausses.

Au fur et à mesure que la soirée se déroulait, l'ambiance devenait plus légère. Peut être aussi que le champagne aidait à la détente. Les auspices antipathiques du début prenaient une configuration meilleure.

Paul passait un bon moment.

L'alcool coulait à flot et les deux invitées de Fanny ne laissaient pas leur part. Elles paraissaient, elles aussi, être de bonnes vivantes.

Paul, qui se voulait être en mission, n'avait tout simplement pas conscience qu'il se mesurait à plus manipulateur que lui. De toute la soirée, à aucun moment il n'eut la sensation d'être cuisiné. Et pourtant...

Saranyù et Rohini savaient délier les langues. Elles apprirent ainsi des détails de la vie de Paul qu'il dévoila sans retenue et sans même s'en rendre compte.

Sa rencontre avec Fanny dans les couloirs de l'hôpital, la disparition de sa petite amie dans un accident de voiture, son emploi dans une concession automobile de luxe. Il parla aussi de ses quelques amis qui se limitaient à ses collègues de boulot et même un petit couplet sur ses parents qu'il ne voyait pas très souvent.

Ainsi la soirée passa et Paul se livra.

Sa mission, si elle n'était pas oubliée, était en tout cas reléguée au second plan, au moins pendant ce moment hors du temps, durant lequel il n'avait pas su rester maître de ses intentions.

Les deux filles avaient, elles, fait moisson des informations tant convoitées.

L'heure était déjà bien avancée lorsque les rires flanchèrent et que les conversations s'épuisèrent. Rohini vida son verre d'un trait et proposa à sa sœur de rentrer.

Les deux invitées surprises, sans plus tergiverser, se dirigèrent vers l'élévateur et juste avant de se séparer enlacèrent Fanny et s'approchèrent tout à tour de Paul pour lui dire bonsoir.

Au lieu d'un simple au revoir, chacune à son tour prit Paul dans ses bras malingres. L'impression d'être étreint par les bras du diable glaça Paul. Il avait baissé sa garde depuis le champagne de l'apéritif, mais ce contact réactiva ses premières impressions.