Chapitre 19 - Tout était vrai

14 1 0
                                    


Hélas, Paul se réveilla.

Tout était vrai. Pas de cauchemar. Juste la réalité, avec tout ce qu'elle comporte de douleur et d'abomination. Plus d’Emilie. Désormais l'oreiller à côté de lui demeurerait vide.

Paul comprenait qu'elle ne reviendrait pas. Que déjà son prénom glissait tout doucement dans le passé. Qu’à partir de maintenant lorsqu’on parlerait d’elle se serait forcément à l'imparfait. Qu’elle ne ferait plus partie de son futur, qui se construirait sans Elle. Il se rappelait des moments où ils s'étaient envoyé quelques piques, comme ça arrive forcément, à un moment ou un autre, dans tous les couples. Il regrettait ces agacements futiles. Il se sentait coupable. Coupable de quoi ? De tout, de rien. Mais il savait une chose. Il y avait un manque et cela avait provoqué en lui une douleur abominable dans sa poitrine. Et apprendre à vivre ainsi, sans elle, il s’en sentait incapable.

Et puis, il allait devoir faire face à la famille d’Emilie, à leurs amis, à sa propre famille, à ses amis à elle. Il avait honte d'afficher sa peine devant tous ces gens qui allaient le dévisager.

Il aurait bien fui immédiatement tellement la tâche lui paraissait hors de portée. Mais qui pourrait comprendre ? Certainement pas les parents d'Emilie, les siens non plus d’ailleurs. Il est des moments où l’on n’a d’autres choix que de se soumettre aux us et coutumes.

Personne n'allait être en mesure de comprendre qu’il n’avait pas envie de voir tous ces gens pleurer la disparition d’Emilie, pleurer sa peine à lui et celle de ses parents. Parfois notre propre peine est plus douce que de constater le supplice que notre calvaire inflige aux autres.

Et pourtant, il allait devoir participer aux funérailles et souffrir encore un peu plus par les larmes des autres.

L’au revoir à Emilie, il l’avait fait alors qu’il lui tenait la main pas encore tout à fait froide, dans la salle où elle avait rendu son dernier souffle, où l'horloge de son cœur s'était immobilisée à tout jamais.

Alors, il ne voyait pas pourquoi il devait encore assister au douloureux défilé des miséricordieux. Mais qui pourrait comprendre son absence à la cérémonie ? Y en aurait-il seulement en capacité d'accepter ? La majorité aime à étaler ses sentiments, juste pour se prouver qu’elle en a.

Mais pour ses parents à elle, déjà anéantis d’avoir perdu leur fille unique, il se devait d’être présent, de les accompagner aussi.

Malgré tout cela, il se rendit chez les parents d'Emilie.

Ses gestes mécaniques le faisait ressembler à une marionnette dont un invisible maître tirait les ficelles. Il ne se voyait pas décider quoi que ce soit pour les obsèques d'une jeune fille avec qui il ne partageait le quotidien de la vie que depuis six mois. Ses parents seraient bien plus légitimes que lui. Et de toute façon, c'était bien mieux ainsi.

Paul-le-zombie regardait les gens s'agiter devant lui, spectateur involontaire d'une pièce navrante. Tous ces êtres qui pleuraient, qui s'embrassaient, qui l'embrassaient, lui. Et cette petite phrase assassine : "il va falloir être fort". Fort de quoi ? Conneries tout ça. Ton amour est parti et toi tu restes là, tout seul. Tout seul, parce que malgré tout le monde qui gesticule autour de toi, tu es tout seul. Ta vie n'a plus de sens. Ni ta vie, ni celle des autres, parce que tu t'en fous de la vie des autres. Tout est mort, la nature devient laide et sans intérêt, le chant des oiseaux agresse tes tympans plus qu'il ne les ravît, les aliments se mélangent dans ta bouche pour ne livrer, au final, qu’un goût de carton, la pulpe de tes doigts ne perçoit plus la douceur ou la rugosité, les parfums ne font plus réagir tes narines. Tu vis comme une machine. Tout ce qui faisait ton humanité se dissout dans un torrent de larmes. Où est la force dont tout le monde parle ?

Paul quitta le domicile des parents d'Emilie pour rejoindre l'hôpital. Il avait besoin de se retrouver encore un peu près du corps de son amante. Il fallait qu’il la voie une dernière fois, toute froide, toute raide, allongée sur cette table affreuse.
Pour, à la fin, accepter.

Ce corps qu’il avait tant aimé, était maintenant déserté de tout souffle, vidé du bouillonnement qui le portait. Il avait besoin de temps pour comprendre que tout cet amour qu’ils avaient en commun n’avait pas disparu avec son dernier soupir, que son souvenir resterait toujours présent, juste un peu dissimulé.

A l’hôpital, Paul s'attarda à côté de ce corps inhabité, à tenir cette main devenue insensible. Combien de temps ? Il la regarda dormir de longues minutes qui étirèrent leur rythmique jusqu'à dépasser les heures.

Tout ce temps simplement à bercer son sommeil infini…

Quand enfin il consentit à l'abandonner et à s'enfuir de ces couloirs sombres, il croisa Fanny qui arpentait le quartier des légistes. Celle-ci, toute en joie de le voir lui adressa son plus joli sourire.

— Bonjour Paul ! Mais où étais-tu passé hier ? Je t'ai perdu dans le parc… ajouta-t-elle en se hissant sur la pointe des pieds pour embrasser sa joue mal rasée.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant