Chapitre 39 - honneur pervers

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A nouveaux les images des attentats, la traque des terroristes en direct, le déploiement des enquêteurs sur les traces des kamikazes, les forces de police main dans la main entre la France et la Belgique. Des rassemblements partout dans le pays et les bougies du souvenir, dont les petites flammes vaillantes sont autant de messages envoyés par notre société à l'inhumanité, pour crier son refus de se laisser asservir et que chaque tentative pour l’atteindre se soldera par autant de rébellion, comme ces oiseaux que l'on chasse et qui reviennent au centuple.

Paul, télécommande en main, écouta les terribles nouvelles. Sobre, il prenait la mesure de la violence des images qu’il avait vues un peu plus tôt.

Mais même un pays en guerre ne se dispense pas de proposer des émissions vides, des téléachats, des talk-shows, des jeux télé. Faire le buzz, distraire mais surtout orienter les esprits.

Paul recommençait à ressasser. Sa solitude lui faisait mal.

Plus jamais il ne reverrait Emilie, et cette vérité, cette solitude imposée le conduisait lentement vers la dépression. Son comportement errait de passivité en agressivité et vivre le quotidien exigeait de lui une vigueur qu'il devinait tarie. Et ces informations qui inondaient encore et encore les écrans, réveillaient en lui toute la haine qu'il essayait de taire. Il était las de la société et de ses agissements. Tout hantait sa vie de simple citoyen, comme ces hommes à la recherche d’un pouvoir à n’importe quel prix.

Depuis la nuit des temps, l’homme cherchait à régner sur les siens et, pour y arriver, tous les moyens étaient permis, à condition bien sûr de ne pas se faire prendre. Ainsi, la course au pouvoir les avait affranchis de toutes limites. Aptes à signer tous les accords, à conclure tous les pactes pour atteindre ou conserver leur suprématie, ils s’étaient dotés d’hommes de main, qui contrairement à ce que l'on voulait nous faire croire, ne prenaient pas seulement vie sur les écrans des salles obscures.

La morale n’existait que sur les plateaux de télévision tant que la lumière rouge de la bétacam éclairait. La pénombre avait l'immense pouvoir d’annihiler les lois, lorsque le plateau retombait dans le noir.

Il n'était donc pas exclu de faire assassiner, si nécessaire.

Le métier d’homme-de-l'ombre existait bel et bien dans la vie réelle et passait le plus souvent inaperçu, pour le commun des mortels. De temps en temps cependant, quelques coïncidences voyaient le jour et ne laissaient pas de place au doute. Car pour gagner la course au pouvoir suprême, il fallait éliminer les gêneurs et tous ceux qui pouvaient, à un moment donné, se trouver en travers du chemin. Ceux-là l’avaient payé de leur vie.

Il se souvenait trop bien de cette diva, superbe, promise à un bel avenir qui avait eu le tort de faire de l’ombre à un époux qui ne l’aimait pas.  Victime d’un dramatique accident de la route. Coïncidence bienvenue ou simplement abattue ? Des médias, des curieux, des fans ou des paparazzis, présents au mauvais endroit et au mauvais moment, avaient été mis en cause, pendant un temps. Puis, les pots de vin avaient rapidement comblés les dommages collatéraux. L'affaire ne fit plus parler d'elle, les tabloïds la reléguèrent à la fin de leur temps d'antenne, puis elle disparût complètement. La tragédie, à la fatale conséquence, avait bouleversé les passions humaines et provoqué la pitié.

Aujourd’hui la diva était devenue un personnage illustre, une icône.

L'affaire fût close sans que le donneur d'ordre ne soit cité.

Honneur sauf.

Et puis il y avait ceux qui, trop populaires, généraient la crainte et l’obsession, comme cet acteur au talent légendaire, emporté par une maladie inconnue au moment opportun. Pour rire, l’imprudent, s’était risqué sur les rails du pouvoir.

L’entrave avait pris une ampleur nationale, se voir ravir la place par un bouffon n’était pas envisageable. Il fallait y mettre un terme. Une peur trop pressante avait conduit à l’utilisation des solutions les plus définitives.

Tué par son bluff… Pour une farce…

Paul haïssait ces êtres capables de l’indicible.

Manipuler ne suffisait pas aux politiques. Ils avaient aussi besoin de personnes qui croyaient en eux, des groupies pour adhérer sans restriction à leurs idées, leurs propositions. On se demanderait si celles-là étaient simplement naïves ou juste utopistes ? C’était grâce à elles qu’ils pouvaient prétendre à la place de leader. Promus et idéalisé, l’homme à élire allait pouvoir être propulsé tout en haut, soutenu et applaudi par ses adeptes, ne devant son élection qu’au combat sans relâche mené par tous ces chiens de gardes qui attendraient ensuite, une petite retombée, une gourmandise, une récompense qui ne pourrait être que tellement en deçà du service rendu.

Et pourtant le partisan, loyal, se trouvait digne du juste retour attendu, pour avoir dédié sa vie au service de l’idéologie de son leadeur. Sauf que les adversaires qu’il prenait pour ses semblables n’ont pas sa probité.

Une fois reposé, l’effort est vite oublié.

Mais la confiance que le peuple nantit au préposé au trône étonnait toujours Paul, comme sa capacité à gober tout ce que l’on a de cesse de lui susurrer. Comment comprendre qu’ils acceptent le gavage avec des pseudo-promesses qui confisquent leur libre arbitre. Les mots ne sont que communication verbale. Ils se contentent de reprendre ce que la foule souhaite entendre. On n’attrape des mouches avec du vinaigre ! Tous les discours des candidats à toutes les élections ne sont que farandoles de paroles édulcorées décryptées par des soi-disant experts, qui traduisent, analysent pour donner du poids et achever de convaincre. La supercherie prend vie, maraude, grappille, se répand et infeste les cervelles.

Plus Paul ruminait, plus la chaleur lui montait aux oreilles.

Il bascula tout le contenu du verre en une seule traite pour essayer d'éteindre cette capacité qu'il avait à s’énerver tout seul en pensant au monde qui l’entourait. La perte qu’il vivait ne l’aidait guère à endiguer cette habitude. Au contraire, maintenant, sa meurtrissure le submergeait, et il replongeait de plus belle dans sa haine du système.

Longtemps ce simulacre de démocratie avait fonctionné. Aujourd'hui, il tendait à trouver son terme. Du coup, pour mener la foule aux urnes, comme des moutons, on ressortait la technique du devoir, pour culpabiliser et d’une certaine manière contraindre. Les politiques sont des jouets dont l’idiome et la langue de bois ! Le donneur d’ordre joue sur l’évidence de sa bonne foi. Alors qu’il n’y a pas plus d’évidence ici qu’ailleurs. La bonne foi est le berceau de la tromperie. Quand elle est attribuée d’office, la porte est ouverte à tous les artifices. Il serait inopportun de ne pas en profiter. Il est toujours plus facile de s’habiller comme un plouc lorsqu’on est reconnu dans le milieu de la mode. Toutes les tentatives sont applaudies. Même les plus ringardes et souvent ce sont celles-là mêmes les plus applaudies.

Rien n’a vraiment changé, pour appréhender le coupable, on doit chercher à qui profite le crime. On habillera la marionnette élue du costume lourd, et les attachés lui donneront vie, la faisant jacasser éperdument.

Le politique n’est qu’un acteur, mieux, un comédien.
Ce qui lui importe c’est le Caesar, le premier rôle, le plus gros cachet.
La reconnaissance.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant