Chapitre 13 - Tous ces noms connus

79 12 10
                                    

Sans cesser de sourire, elle reposa son téléphone face contre table, tout à côté de son assiette et leva la tête vers Paul.

Si Paul savait bien qu’aujourd’hui plus personne n’arrive à se passer de son téléphone, que l’addiction est contagieuse et se propage à toutes les catégories d’âge, il était aussi un peu de ceux-là, mais avec Fanny, cela atteignait des sommets. Même à un rendez-vous amoureux elle ne le quittait pas.

N'ayant que peu de choses en commun avec cette fille, il se demandait bien de quoi il allait pouvoir lui parler. Il n'eut pas longtemps à s'inquiéter car la jeune femme prit la parole d'elle-même. Elle expliqua ses études de thanatologie, dévoila quelques passions, dont la cuisine. Il s'extasiait à la voir manger. Elle n'était pas comme ces filles qu'il avait fréquentées, qui s'imposaient des régimes pour ne pas grossir, alors que le premier des régimes était justement de ne pas en faire. Que la variété crée l'équilibre.

Mais les médias sont là pour anesthésier les cerveaux féminins, les limiter, les manipuler, et les endormir assez pour que ces douces stupides gobent des concepts aussi ineptes qu'une promesse de perdre du poids en avalant trois pilules par jour et en ingurgitant toutes les calories qu’elles veulent. La publicité est tenace. Inlassablement, le média dit, répète et explique, le tout agrémenté de beautés aux longues jambes fuselées, et l’impossible promesse devient évidente réalité.

L’important étant de faire du profit. Rien ni personne n’est soumis à un quelconque devoir de résultat. Les politiciens utilisent cette même technique. Paul s'en délectait à chaque passage télévisé d'hommes aux visées étatiques.

Pendant son court métier de journaliste, il faisait cette chasse à ce qui se trouve de l'autre côté du miroir. C'était aussi à cause de ça qu’il s’était fait éjecté rapidement de PJN... Mais il avait prit l'habitude d'étudier la moindre phrase et d'en décoder le contenu exact. C'était devenu un jeu.

Fanny en train d'essuyer son assiette avec un morceau de pain pour ne rien laisser perdre le réconciliait avec ces filles un peu sottes. Il la regardait d'un autre œil. Elle ne devait pas être de celles qui croient que la crème amincissante efface en quelques semaines les capitons de cellulite qui enrobent les grosses cuisses. Que la photo de la jolie fille est toute travaillée à Photoshop, que sa peau si parfaite n'est qu'irréelle. Et que l'efficacité de la crème pour laquelle la pin-up vente les mérites n'est que de la pommade rose sur une jambe de bois.

Fanny mangeait de bon appétit, mais elle appréciait, elle n'engouffrait pas des quantités comme le vorace comme on aurait pu croire. Elle faisait plaisir à voir, elle était radieuse.

Petit à petit, l'avis de Paul sur Fanny évoluait, changeait. Passé son physique, il y voyait une belle personne, loin d'être dénuée de bon sens.

Paul l'écoutait, il s'intéressait à la conversation qu'elle lui tenait, car la donzelle était loin d'être stupide.
Lorsque le serveur vint chercher les assiettes pourléchées, elle pria Paul de l'excuser et se retira aux toilettes.

Le regard de Paul accompagna sa traversée de salle jusqu’aux lavabos. Elle n'avait, certes non, pas une taille de guêpe, mais elle était pourtant très féminine. D'ailleurs, plusieurs regards masculins, bien qu'assis en bonne compagnie, suivirent son périple d’un regard qui ne cachait rien de sa velléité.

Paul balayait la salle des yeux et laissait trainer son regard quand celui-ci se posa sur le téléphone de Fanny. Elle l'avait laissé sur la table...

Il jeta un rapide coup d’œil aux alentours, puis se saisit de l’appareil et entreprit de visiter ses entrailles.

Un seul contact d’enregistré, aucun appel vocal passé, juste des messages reçus qui provenaient tous de l’unique contact. Il appuya sur « messages envoyés », tous les messages qui s’affichaient comportaient un texte identique : « ok » et étaient tous adressés au seul et unique contact présent. L’étrangeté est que la fiche contact ne donnait pas de numéro de téléphone. Elle était identifiée « Yama ». Aucune autre information n’était apportée.

Il fouilla maintenant le dossier « message reçu ». Une longue liste apparut. Tous les messages commençaient par « Réquisitionner » et étaient suivi d’un nom de famille et d’un prénom. Une liste immense s’affichait.
La curiosité de Paul était piquée au vif. Son cœur bondissait dans sa poitrine à en sortir de sa cage thoracique. Il releva la tête, aux aguets, vérifia que Fanny ne revenait pas encore et continua sa perquisition.

Parmi les messages, il pouvait lire les noms suivants, il n’en revenait pas de ce que ses yeux découvraient.
« Réquisitionner Nandela Mel »
« Réquisitionner Gensbar Lulu »
Nom mais, que faisait les noms de ces personnages célèbres dans son téléphone ?
« Réquisitionner Partre Jean-Sol »
« Réquisitionner Balblé Daniel »
« Réquisitionner Bian Joris »
« Réquisitionner Sidious Vic »
« Réquisitionner de Gaupassant Joy »
C’est impossible, tous ces gens sont morts, depuis…
« Réquisitionner Ashung Paulin »
« Réquisitionner Mounard André »
Quoi ? Mounard André ? Mais c’était l’époux de la femme éplorée de la salle d’attente de la veille… Qu’est ce que cette femme faisait avec les noms de ces gens. Voilà pourquoi elle se souvenait si bien de son nom…

Un rapide coup d’œil vers les toilettes pour s’assurer que la propriétaire ne revenait pas encore, pour ne pas être pris en flagrant délit, et il poursuivit sa lecture alors que son pouce montait et descendait sur l’écran tactile pour faire défiler encore plus vite cette liste titanesque.

Il arriva au dernier nom de la liste « Réquisitionner Bartuel Alexandre ».

Aucune trace de son nom à lui.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant