Chapitre 37 - Tu as un très bel appartement

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Fanny vivait dans le quartier qui borde la zone industrielle.

Le bâtiment d’usine délabré, aux vitres cassées, aux portes défoncées, cachait derrière ses murs un rez-de-chaussée encombré de vieux appareils rouillés, de voitures probablement empruntées et abandonnées par leurs voleurs une fois les méfaits accomplis, et des tas de détritus.

Dans un angle de la bâtisse, c’est, semblait-il, une famille de sans-abris qui avait pris possession des lieux.

Ce n’était pas l'endroit idéal pour une jeune fille. Pourtant Fanny traversa le capharnaüm de cet immense hall, sans aucune crainte et se dirigea dans le fond opposé à l’entrée. Elle déverrouilla un cadenas et ouvrit l’accès à un monte-charge, elle en releva la grille d’entrée et fit signe à Paul, qui s’empressa de prendre place dans la cabine, assez peu rassuré de se trouver dans un tel endroit. L’appareil les amena dans un fracas de grincement à l’étage supérieur.

La cage de l’élévateur s’ouvrit sur un gigantesque loft, propre et soigné. Tout le premier étage de l’usine désaffectée avait été aménagé avec un goût très sûr. L’appartement était aussi cosy que le sous sol était sale.

Fanny posa ses chaussures et dit à Paul de s’installer comme chez lui.

Comme chez lui, c’était difficile, Paul, gagnait bien sa vie, mais n’avait pas les moyens de s’offrir un aussi grand appartement, bien qu’ici le quartier ne devait pas être tellement vendeur, et le prix du mètre carré accessible.

Il abandonna son blouson sur un des grands canapés bleus et entreprit de découvrir du regard cette pièce immense qui faisait office de salon. Juste devant lui, deux grands sofas disposés l’un en face de l’autre et une méridienne placée tout près de la baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur les toits des usines de la zone.

Sur sa droite, la cuisine ouverte à l’américaine, se prolongeait par une longue table de salle à manger en bois brut où il aurait été aisé d’installer une dizaine de convives. Enfin, de l’autre coté, de hautes plantes vertes dissimulaient un bureau et une porte.

Paul rejoignit Fanny dans la cuisine où elle préparait une boisson.

— Tu vis dans un très bel appartement. Je ne voudrais pas paraître trop curieux mais comment tu fais pour t’offrir un tel luxe en étant seulement étudiante ?

Fanny afficha un large sourire et en guise de réponse lui tendit un verre surmonté d’une rondelle de citron avant de se diriger vers les sièges du salon. Une fois assise, elle trempa ses lèvres dans le liquide transparent ou une feuille de menthe fraîche flottait à la surface.

Paul, tenait son verre à la main, mais hésitait à l’accompagner. Il sentait la présence de l’alcool et ses excès en la matière n’étaient pas suffisamment anciens pour lui donner envie d’ingurgiter le mélange. Il voulait aussi obtenir de Fanny les informations qui le turlupinaient. Il devait donc conserver toutes ses facultés.
Trop d’étrangeté chez cette fille. Et trop d’incohérences.

— Assis-toi et attends moi, dit-elle.

Elle posa son propre verre sur la table basse et se dirigea vers la porte près du bureau.

Paul obtempéra, suivant du regard le déplacement de la jeune fille.

Seul dans le salon, ses yeux parcouraient maintenant les châssis entoilés disposés sur les murs. Seulement de l’art abstrait dans les couleurs de bleu nuit et de doré. Aucune photo ne venait personnaliser l’intérieur du loft. On aurait pu être chez n’importe qui ou encore dans un appartement témoin ou une chambre d’hôtel. Toute la décoration était impersonnelle et ne laissait rien paraître de la vie de Fanny.

Un quotidien de la veille était posé sur la table du salon, ouvert  sur la dernière page qui avait du être consultée un peu plus tôt.

Paul y jeta un coup d’œil machinal. Le journal avait été abandonné sur la rubrique nécrologique. Il commençait à y avoir une certaine récurrence. Un avis de décès avait été surligné, il s’agissait de Monsieur Jean-François Delarbre, décédé soudainement à l’âge de soixante quatre ans. Tous ses collègues de la fac de médecine prenaient part à la douleur de son épouse et de ses enfants…

La fac de médecine. C’était peut être une coïncidence, mais c’était la fac que fréquentait Fanny. Il se rappelait aussi qu'elle avait dit que son prof était absent… Ce pourrait-il que se fusse le même professeur ?

Fanny réapparut soudain, surprenant Paul qui lâcha le journal et abandonna ses réflexions.

Elle portait le déshabillé noir qu’elle avait essayé un peu plus tôt et vint s’asseoir en face de Paul. Elle lui dit :

— Je suis contente que tu sois venu jusque chez moi. Tu peux rester le temps que tu veux. Tu es ici chez toi.

Paul lui, n’avait d’yeux que pour le déshabillé sombre. Il était fermé et ne permettait pas de voir ce qu’elle portait en-dessous. Il n'y avait pas que son imagination pour vêtir la demoiselle à sa guise.

Il serra ses lèvres et plissa les yeux. Mais bon dieu, Paul, tu es en mission, se dit-il pour lui-même.

Il ne voyait pas ce qu’elle cherchait réellement. Si elle était seulement amoureuse de lui, elle avait déjà eu ce qu’elle voulait. Que pouvait-elle vouloir de plus ?

« Hello darkness my old friend …»

Paul bondit sur son téléphone, décrocha et s’éloigna un peu vers les plantes vertes pour répondre à l’appel impromptu. C’était sa mère. Elle n’avait plus eu de ses nouvelle et s’inquiétait pour son moral. Après l’avoir rassurée de quelques mots, il promit de la rappeler plus tard, que le moment était mal choisi, et qu’il ne pouvait pas parler pour le moment.

Mais c’était sa maman et elle insista un peu comme toute mère qui ne veut que le bien de son enfant.

Fanny, non loin, prêtait l’oreille aux bribes qu’elle entendait.

— Ça va ? demanda-t-elle, curieuse.

Paul n'eut pas le temps de répondre que le glas tonna dans l’appartement et mis fin à leur conversation.
Fanny allongea ses jambes repliées sous ses fesses et se déplaça comme une chatte jusqu’à son portable pour le faire taire.

D’un coup de doigt agile sur l’écran tactile, elle ouvrit le message entrant. Après avoir lu le SMS, elle enfoui le téléphone tout au fond de son sac comme pour ne plus l’entendre.

Elle leva les yeux au ciel, souffla pour évacuer son exaspération et prit la direction de la porte près du bureau, sans un mot.

— Je suis désolée Paul, j’ai une course à faire, mais attend moi là, enfin si tu veux, je n’en ai pas pour
longtemps ! Et elle disparut dans la pièce.

Paul raccrocha la communication avec sa mère. Il était ravi de la situation. Sa mission s’augurait fort bien, et sa proie la lui servait sur un plateau.

— Tu es sûre ? lui dit-il alors qu’elle revenait dans la pièce à vivre, rhabillée de sombre et prête à partir. Tu ne vas pas être absente trop longtemps ? Parce que c’est très sympa ici, mais sans toi, c’est totalement insipide !

Il ponctua sa phrase par un sourire ravageur et s’approcha pour la prendre dans ses bras.

Avant de l'enlacer il entortilla autour de son index une boucle de ses cheveux, puis déposa, du bout des lèvres, un baiser juste derrière son oreille, à l’endroit exact où les effluves de roses anciennes embaumaient le plus.

Fanny sourit, heureuse, elle souleva le volet du monte charge et s’en alla obéir aux ordres et procéder auprès de son nouveau client.

Paul attendit que l’ascenseur soit remonté à son niveau avant de filer fouiller l'appartement.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant