Chapitre 83 - Qui est-ce ?

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— C'est moi, c'est Paul.

— Je t'ouvre…

Paul gravit les marches qui le menaient au troisième étage en un temps record. Il se déplaçait avec une facilité étrange, ses muscles ne semblaient plus avoir besoin de se contracter pour propulser son corps. Ses jambes le portaient sans qu'il ait besoin de leur commander. Il évoluait comme s’il ne touchait pas le sol. Une impression déplaisante, qui le faisait ne plus se sentir maître de ses mouvements. Pourtant, sa dose d’alcool n’avait pas été exagérée. Il avait seulement avalé une dose bar, aucun excès comme ça avait pu être le cas, il n’y avait pas si longtemps.

Olivier lui ouvrit la porte et les efforts qu'il fit pour plaquer un sourire sur son visage confirmèrent qu'il appréciait que Paul se soit déplacé. A eux deux, les difficultés qu'ils traversaient seraient plus légères.

Paul, sans attendre l'invitation, entra et s'allongea sur la méridienne près de la fenêtre. Il épiait les faits et gestes de son collègue qui n'arrivait pas à canaliser ses mouvements. Cette vision lui apporta un sourire intérieur, qu’il préféra ne pas dévoiler. Il tourna la tête vers l’écran de télévision qui diffusait une émission où les participants devaient survivre seuls, en pleine nature, sans aide. Olivier s'assit dans le fauteuil face à Paul et lorgnât sur les images avilissantes d'un œil neutre pendant que Paul l'observait. Plus la peine d'Olivier s'intensifiait, plus celle de Paul s'amenuisait. C'était un peu comme s'il faisait office de défouloir. Il percevait la douleur qui détruisait Olivier, sans en ressentir les affres. Le supplice ne le touchait pas, ne le touchait plus. Il devenait simple spectateur.

Était-ce parce qu'il avait trop souffert lui-même ?

Alors qu'Olivier voulu parler de la disparition de ses collègues, Paul lui coupa la parole pour réclamer un verre et de ne surtout pas oublier de laisser la bouteille sur la table. Olivier prit cette demande pour une invitation à se vider la tête ensemble.

Paul s’inquiéta de son propre comportement, de la fuite de ses sentiments. Il essaya de faire surgir quelques souvenirs récents. Il se repassait le déroulement des dernières semaines de sa vie avec un détachement anormal, qui le désorientait. Il fallait se rendre à l'évidence, il ne ressentait plus rien. Il était en train de perdre son humanité.

Plus rien ne semblait pouvoir l'atteindre. Le frisson, créé par cette constatation, le tracassait.
Olivier revint de la cuisine avec deux verres, qu'il remplit presque jusqu'à ras bord, avant d'en tendre un à
Paul et de se laisser tomber dans le fauteuil, en face de son ami.

Paul ne tendit pas la main pour récupérer le verre qu’Olivier tenait à bout de bras, et laissa ce dernier le déposer sur la table basse. Par contre, il se leva et fit le tour du fauteuil dans lequel Olivier s'était laissé aller, puis il enveloppa ses trapèzes et entama un massage, qui étonna autant qu'il surprit Olivier. Mais celui-ci apprécia l'initiative.

Ses pouces dessinaient de petits cercles très appuyés qui se fondaient en rayons plus larges et au toucher plus léger. Ses doigts longeaient la colonne vertébrale et contournaient chacune des vertèbres de son dos, tout en maintenant une pression constante, qui favorisait la relaxation. Le pétrissage, réalisé par les mains habiles de Paul, pacifia les tourments d'Olivier, qui luttait pour maintenir ses yeux ouverts. Les battements de son cœur se temporisèrent sous l'action calmante du massage. Les paupières d’Olivier se fermèrent par intervalles réguliers, de plus en plus longs, la pression sanguine dans ses veines diminua.

La décontraction emportait Olivier, qui se laissait submerger par le bénéfice de l'insouciance.

— Où est-ce que tu as appris à faire ça ?

— Ça t'as fait du bien ? interrogea Paul en guise de réponse.

— Tu es très efficace, tu devrais remettre ça plus souvent. Si t'étais pas hétéro…

Ces paroles prononcées, il afficha un sourire conquérant et trempa ses lèvres dans son verre.

Paul, contourna le fauteuil d'Olivier, pour lui faire face et mieux examiner les résultats de son travail. De toute sa hauteur, il le regardait sombrer lentement dans un coma profond. Le massage qu'il venait de lui administrer avait apporté la quiétude, qui faisait défaut à son collègue. Il prit une gorgée du liquide corrosif, l'alcool lui brûlât le gosier et il s'essuya les dents de ses lèvres. Calme, comme il ne l’avait jamais était, il dévisageait un Olivier, dont la tête penchait maintenant vers son ventre. Il prenait toute la mesure de la peine qui accablait son collègue et se félicitait d’avoir pu lui apporter un peu de sérénité, même si celle-ci était parfumée à l’alcool.

Soudain, le verre penché fini par échapper à la main d'Olivier et roula sous le fauteuil déversant le liquide sur le sol. Paul laissa dormir Olivier, il prit juste soin de ramasser le verre et le posa sur la table basse. Il ignora la flaque aux pieds d’Olivier et sortit de l'appartement de son ancien collègue.

Il fila embrasser sa petite amie, Fanny.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant