Chapitre 16 - parfois je leurs tiens la main

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Profitant de ce que la brèche était ouverte là où il souhaitait aller, Paul questionna à son tour.

— Et toi, tu es ici pour quelqu'un de particulier ?

— Oh, moi, j’ai plusieurs raisons d’être ici. D’abord, j’ai des cours qui sont donnés dans l’établissement par les médecins légistes, et comme on travaille souvent sur pièce, –elle laissa traîner sa voix, tout en jetant un coup d’œil à Paul, avant de marquer un blanc– on est mieux près de la morgue. Et puis j’aide les gens.

— Tu aides les gens… ?

Paul attendait qu’elle développe.

— Oui, j’aide des malades. Je les accompagne. Et parfois, je leur tiens la main…

Paul se souvint que la veille, il l’avait trouvée devant le restaurant en train de tenir la main du jeune accidenté, et puis à la MACHPAAR, elle tenait la main du petit vieux…

Mais Fanny avait compris le stratagème et souhaitait une vraie réponse à sa question à elle.

— Et cette amie, elle qu’est-ce qu’elle a ? Et elle va bien ?

… Qu’est ce qu’elle voulait dire par « je leur tiens la main ». La phrase tournait en boucle dans la tête de Paul. Il y avait là quelque chose d’obscur et c’était certainement cette piste là qu’il devait creuser.

Soudain, Fanny s’approcha davantage, saisit le bras de Paul et colla son menton sur son épaule. Paul ne moufta pas, malgré sa honte et son dégoût d'afficher une telle proximité avec cette grosse femme. Pourtant, leur promenade s'éternisa dans le parc, à la manière d'un vieux couple. Il laissait sa proie s'accrocher, ne pas l’effrayer ou la repousser, la mettre en confiance. Et au moment où elle se délecterait du moment présent et lâcherait prise, la ferrer.

Les rayons du soleil d’automne chauffaient leur dos à travers leurs vêtements et ils profitaient des parfums qui embaumaient les allées du jardin où les carrés de chrysanthèmes jouxtaient les alignements de dahlias.
Des dizaines de couleurs éclataient à la luminosité encore élevée d’octobre, ce qui rendait au jardin un charme désuet des petits squares de ville.

— Alors ? Tu ne veux pas me répondre ? Elle est dans quel service ? Racontes-moi, tu te sentiras mieux après.

Fanny était directe et ne mâchait pas ses mots. Elle voulait une réponse et pour cela elle posait la question qui allait la lui donner.

Il baissa un instant les yeux sur Fanny, qui ne lâchait pas prise et le fixait droit dans les yeux. Elle était là, pendue à son bras et à ses lèvres, attendant la réponse à sa question.

Que faire ? Ne pas lui répondre ou rétorquer que cela ne la regardait pas ou encore qu’elle n’avait rien à espérer de lui et perdre définitivement les informations qu’il convoitait ? Ou alors assumer l'opprobre, se soumettre et accéder, peut-être, à ses fins. La seule grâce que Paul trouvait à ce que cette fille soit pendue à son bras aux yeux de tous était l'élan de fierté qu'il avait à faire craquer les filles.

— Oui, non, en fait, oui c’est une amie, mon amie, et elle ne va pas très bien. Elle a eu des complications. Les médecins l’ont mise en réa…

— Ah, si tu veux je peux aller à son chevet lui apporter mon réconfort. J'ai l'habitude, tu sais. Je n’en ai pas pour longtemps ? Je peux être de retour dans une demi-heure maximum. Paul s’étonna et dit :

— Non, non, non, ce n’est pas la peine, cela ne servirait à rien, elle est sans connaissance…

— Oh mais tu sais, la présence de quelqu’un auprès d’un malade est souvent très efficace, même si celui-ci dort. Je suis assez puissante à ce travail…

Elle essayait de convaincre Paul. Etait-ce seulement de la bonté ? Lui y sentait une touche d’empressement pour le moins étrange, voire anormale. Et puis les mots qu'elle choisissait. Je suis assez puissante…

Paul s’était arrêté et contemplait les fleurs aux couleurs vives lorsque la sonnerie de son téléphone le sortit de sa torpeur.

"Hello darkness my old friend, I've come to talk"

Paul chercha des yeux Fanny, qui s’était volatilisée et décrocha son téléphone sans plus se soucier de la disparition de sa protégée.

— Monsieur Carmin ? Docteur Eluard à l’appareil…

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant