Chapitre 20 - Il commença à bécoter ses lèvres

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— Bonjour Fanny. Oui, j'ai du partir, coupa-t-il. Les mots sortaient de sa bouche comme un horodateur crache ses tickets. Il n'avait pas envie de s'exprimer davantage. Chaque parole qui lui rappelait la journée de la veille déversait un fiel de souvenir dans sa gorge.

— Mon cours sur le changement post-mortem se termine dans une heure. On se retrouve après ? Aile A, porte 0.14 à dix sept heures ? frétilla-t-elle.

Paul entendit sa voix répondre "oui, pourquoi pas, j'y serai". Et il continua son périple pour s’extirper des ces couloirs funestes.


La salle 0.14 était une salle d'autopsie.

Aujourd'hui, l'étude portait sur le mécanisme et les aspects médico-légaux qui se manifestent pendant la période des dix heures post-mortem. Et, comme à chaque fois, l'étude se faisait sur un cas réel.

Tant que la famille d'un défunt n'avait pas diligenté les pompes funèbres pour venir se saisir de la dépouille, celui-ci pouvait servir de base d'études aux futurs médecins, tant qu’ils n’endommageaient pas le corps.

Lorsque le professeur leva le drap sur le cas du jour, Fanny contempla l’objet de l’étude avec davantage d’entrain qu’à son habitude.

Enfin, elle avait réussi ! La manœuvre avait été longue et compliquée, mais elle était arrivée à ses fins.

Le professeur venait de dévoiler le corps d'Emilie.


* * *
*


Paul était planté devant l'entrée des Urgences. Les yeux rouges mais secs. Ses canaux lacrymaux avaient tellement déversé de larmes, qu’ils avaient fini par s’assécher.

Lorsqu'elle reconnut la silhouette de Paul, Fanny se précipita derrière lui et passa ses mains autour de sa taille. Paul ne réagit même pas.

— Je ne t'ai pas vu devant la salle, tu as oublié ? lança-t-elle joviale.

— …

— Ohé ! Ben alors qu'est-ce qui t'arrive ? rajouta-t-elle, devant le mutisme de Paul, mais soulagée d'avoir enfin retrouvé l'homme de son rendez-vous.

Ses mains qui se faufilaient ainsi par derrière lui, et qui se nichaient sous son t-shirt, ça c'était du tout-Emilie. Cette pensée le sortit de son trouble. Ce ne pouvait plus être Emilie.

Qui se permettait de l'attraper de la sorte ?

Il se retourna brusquement, presque agressif. Mais cela n'effraya pas Fanny qui se mit à rigoler croyant qu'il avait eu peur. Elle se moqua gentiment un peu de lui.

Paul dévisagea son interlocutrice comme si elle s'était adressée à lui en chinois.

Le retour à la réalité fut difficile, mais Paul réussit à esquisser un sourire, assez peu convaincant, mais suffisant pour ne pas désappointer la demoiselle qui continua :

— On avait rendez-vous… Tu te rappelles ? reprit Fanny.

Fanny n'attendit pas la fin de sa phrase et le prit par la main pour l'entraîner à la terrasse du bar le plus proche de l’établissement hospitalier. Paul suivait Fanny, sa main tenue par la main potelée de Fanny. Il trottinait à ses côtés comme un enfant qui peinerait à suivre les enjambées de sa mère. Au bar, ils passèrent commande au garçon, qui releva un sourcil d'étonnement en forme de chapeau circonflexe, lorsque Paul demanda un triple whisky.

— Vous voulez pas commencer par un double d'abord ? ironisa le garçon de café avec un lourd accent du sud, à couper au couteau.

Aux traits affligeants du visage de Paul, à son œil mauvais et ses sourcils noirs qui s’étaient assez rapprochés pour n’en former qu’un, le serveur se racla la gorge et s’enfuit immédiatement derrière son comptoir sans attendre son reste.

Fanny et Paul conversèrent ainsi une petite heure tout en regardant passer les gens dans la rue. Finalement, cette fille occupait l'esprit de Paul et l'aidait à relâcher ses tensions en même temps que sa peine se noyait dans son troisième verre de mauvais Johnnie Walker.

Paul regardait Fanny dont le flot de paroles perlait sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard.

Il devait dénouer un tas d'événements parfaitement bien emberlificotés, mais ce ne serait pas ce soir.

Et puis, le sourire de la fille est joli.

Finalement, plus rien ne le pressait. Ses objectifs s'estompèrent et ses velléités s'envolèrent avec les effluves des ses trop nombreux verres d’alcool.

C'est ainsi qu'ils prirent, main dans la main, la direction de l'appartement de Paul.

Euphorique et badin, il caressait la main de Fanny et jouait avec les petits bout de chair qui boursouflaient entre les anneaux de ses bagues, puis il embrassait son poignet. La jeune femme était aux anges et riait à gorge déployée. Sa tête basculée en arrière agitait son cou de soubresauts qui dessinaient des vagues de peau comme celles provoquées par le cri des oies lorsqu'elles cherchent à effrayer d'éventuels assaillants.

Fanny obtenait les grâces de cet homme tant convoité, bien qu’il fut totalement saoul et certainement plus maître de ses décisions. Elle, plus sûrement, était le contrefort dont il avait besoin pour ne pas crouler sous le malheur.

Dans le hall de l’immeuble, Paul cherchait désespérément ses clefs d'appartement. Fanny attendait, radieuse.
Elle était adossée au mur d'entrée, comblée à l'idée d'entrer dans la demeure de son amoureux. Ses yeux souriaient autant que sa bouche, elle s'amusait de le voir se débattre avec son équilibre, elle en profita pour poser ses mains sur lui et l'aider à fouiller ses poches.

Le sésame en main, ses yeux n'arrivaient pas à guider la clé vers le trou de la serrure. Elle se moqua tant et si bien de lui qu'il lui confia le petit bout de métal pour qu’elle déverrouille la porte.

Fanny entra la première et découvrit, insensible, les lieux où avait vécu Emilie.

Enfin, elle était dans l'appartement de l’homme qu'elle avait réussi à ravir à cette fille.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant