Chapitre 73 - Le numéro de Marc

8 2 0
                                    


Bien que l’idée parût saugrenue à Paul, elle était aussi une manière de rassurer ses parents sur le pourquoi de son silence sans avoir à entrer dans certains détails.

Ils acceptèrent de passer à leur retour des courses. Paul irait les attendre dans la rue devant l’usine.
Mal à l'aise dans ce quartier isolé, Paul arpentait le bitume de long en large devant la vieille bâtisse lorsque la grosse berline noire de son père se serra le long du trottoir.

Le père de Paul sortit le premier et aussitôt s’adressa à son fils. Il lui reprochait de lui avoir donné rendez-vous dans un quartier aussi mal famé.

— Moi aussi ça m’a fait cette impression là, mais …

— Bon ta mère voulait te voir coûte que coûte. Mais on ne va pas s’attarder trop longtemps, s'empressa d'avancer le père de Paul.

La mère de Paul claqua la portière et fit les gros yeux à son époux, avant de terminer la phrase de son mari :

— Ça fait un temps incalculable qu’on n'a pas vu Paul et toi tout ce qui t’inquiète c’est la carrosserie de ta grosse bagnole ! Maintenant qu’on est là, moi je veux faire la connaissance de son amie.

Lorsque madame Carmin parlait, père et fils obtempéraient.

Une fois à l’étage, la vision du loft magnifique cloua le bec de Marcel Carmin. Jeanne, son épouse, éblouie par le luxe de l'intérieur, piaffait de félicité et de fierté pour son fils. Les Carmin furent au moins autant estomaqués, que Paul avait pu l’être, la première fois où Fanny l'avait invité chez elle.

Si Marcel ne put réfréner un sifflement admiratif, le son qu'il laissa filer entre ses dents mit sa femme, mal à l’aise, et rougit de honte les joues du fils. Ce petit moment hors du temps combla Fanny.

L’apéritif fut sobre et poli. Paul en profita pour offrir quelques petits souvenirs de New-York. Il remercia en pensée Marc, qui lui avait un peu forcé la main dans l'antre du souvenir de Times Square, pour qu'il crache quelques dollars en babioles. Les petits présents qu'il répartissait entre Fanny et ses parents le dédouanaient des excuses qu'il n'avait pas formulées pour ne pas les avoir prévenus. Il voulait également afficher, sans détour, son retour à la vie, notamment pour anéantir les craintes de sa mère.

Mais ses efforts eurent l'effet inverse pour Jeanne qui enragea à l'idée que son fils unique ait pu survoler l'Atlantique sans la prévenir.

L’apéritif fut écourté par l'arrivée inopinée de Saranyù, qui toqua à la porte du loft et força le congé de Monsieur et Madame Carmin.

Elle salua rapidement les géniteurs de Paul et se saisit du bras de Fanny pour l’entrainer jusqu’à la cuisine, sans même prêter attention aux réponses formulées par Jeanne et Marcel. Les au-revoir en furent d’autant raccourcis. Paul raccompagna ses parents et des sourires de compréhension, des promesses et des embrassades furent échangés au bas du loft.

Aussitôt les lumières des deux feux arrière de la voiture engloutis par la nuit, Paul regagna l’étage à toute vitesse où il rejoignit les deux filles dans le salon. Il salua Sarah qui lui offrit en retour son plus beau sourire hypocrite.

Assis un peu à l'écart, il écoutait les palabres des filles d'une oreille distraite tout en faisant défiler ses contacts. Il appuya sur le numéro de Marc et la tonalité le conduisit derechef directement sur le répondeur de son boss.

D'accord, Marc était sûrement très occupé, mais il n'était pas normal du tout qu'il ne cherche pas à les rappeler. Il avait obligatoirement dû écouter son répondeur à un moment ou à un autre.

Paul n’attendit pas la fin du message d’accueil et secoua la tête en signe d’impuissance ce qui n’échappa pas à Sarah, qui aussitôt s’enquit des déboires de Paul. Et, dans sa tristesse, celui-ci se laissa prendre à s'épancher.

— Rien ne va, j’ai une collègue à l’hôpital et mon boss qui est resté à New-York, et est injoignable depuis deux jours.

Saranyù arborait un sourire jovial. Elle ne faisait aucun effort pour paraître attristée par les ennuis du petit ami de Dhûmornâ. En fait, elle savourait sa victoire et ses maxillaires comprimées soulignaient encore sa maigreur et accentuaient les traits de son visage taillé à la serpe.

Paul, en n’obtenant pas l’écoute escomptée s’éloigna. Il s’installa plus confortablement sur le fauteuil du bureau, de là, il examinait les réactions des deux filles : le sourire de Sarah arborait la satisfaction du travail accompli, enjouée à raconter à Fanny une histoire secrète.

« Hello darkness… » Paul manqua d’échapper son téléphone, surpris par la soudaineté de la sonnerie et son envie de répondre au plus vite.

Il fallait qu’il change cette chanson, ne plus jamais entendre la voix de Garfunkel qu'il associait maintenant à de mauvaises nouvelles et à une période de sa vie dont il voulait s’éloigner au plus vite.

A l'autre bout du fil, c’était la voix de l’épouse de Marc. En pleurs. Ses sanglots entrecoupés de paroles inaudibles rendaient son message incompréhensible.

Il finit par comprendre que la police américaine avait retrouvé Marc, dans une église…

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant