Chapitre 40 - un sentiment nouveau naissait en elle

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Fanny avait disparu pendant toute la fin d'après midi, abandonnant Paul seul chez elle.

Elle s'était d'abord rendue au chevet du monsieur dont elle avait le nom inscrit dans son téléphone. Mais cette fois, contrairement à ses habitudes, elle avait pris sa main gauche dans la sienne et tout en la maintenant emprisonnée entre ses paumes, elle avait discuté avec l'homme inquiet dont les mouvements des yeux manifestaient sa nervosité sans être capable d'en comprendre l'origine. De sa voix suave et de ses douces paroles, elle avait su le rassurer.

La voix apaisée, elle lui avait raconté l'avenir. Elle avait presque chuchoté. Ce calme et cette douceur avaient soulagé le tumulte du cœur de l’homme et démantibulé ses angoisses. Ainsi, son travail, son devoir pour appliquer les ordres de Yama était devenu presque agréable. Un sentiment nouveau naissait en elle.

Chaque fois qu’elle se saisissait de la main gauche d’un client, toujours la main du côté du cœur, chaque fois qu’elle enserrait ces paumes douces ou rugueuse, fines ou épaisses, charnues ou maigres, le résultat était le même, elle aspirait la vie qui se trouvait dans le corps.

Jusqu'à sa rencontre avec Paul, ce geste était répété machinalement. Sans parler, sans sourire, sans s’occuper de son patient, sans accompagnement. Sans sentiment. Elle faisait ce geste comme elle aurait jeté un bouquet de fleurs fanées. Et dès qu'elle sentait que la vie s’échappait du corps de son patient, elle abandonnait la main comme si celle-ci la brûlait. C'était comme ça qu'elle travaillait, elle faisait son office de manière efficace et rapide.

Cette fois, elle se sentait différente. Elle avait envie d'accompagner les derniers instants de l'homme. Pourquoi ce changement ? Et comment cette empathie avait-elle germée dans son esprit ? Elle n'en savait rien.

Elle ne s’était pas posé la question, elle avait pris soin des derniers instants du monsieur, ça s’était fait naturellement, sans préméditation.

Lui était parti serein. Fanny avait, plus que d’avoir obéit aux ordres de Yama, l'impression d'avoir aidé ce patient atteint d’une maladie incurable et qui le faisait tant souffrir. Elle lui avait rendu service en somme.

Alors, le cœur léger elle s'était rendue à l'hôtel particulier de ses sœurs.

Depuis le dernier Rassemblement où Yama avait ré affirmé sa confiance à toutes les commissionnaires en même temps, elle n’avait pas revu ni Rohini, ni Saranyù.

Pourtant, Fanny n'était pas trop tranquille, la ré-intronisation systématique sans contre partie l’inquiétait. Ça avait été trop facile. La principale qualité de Yama, s’il en avait une, n’était certainement pas la bonté.

Elle se dirigea donc au numéro quarante de la rue Jean Jaurès. Elle espérait les trouver chez elles. Elle ne les avait pas prévenues de son passage.

Fanny enfonça son doigt sur le bouton de la sonnette et le laissa appuyé un long moment.

Alors que Fanny s’apprêtait à rebrousser chemin, après de longues minutes d'attente, la lourde porte, à double vantaux, ornée de fer forgé, enfin s'ouvrit, laissant paraître Rohini sur le pas de la porte.

Il était à peine dix sept heures et elle était déjà vêtue d'une robe de soirée.

Gainée dans un fourreau rouge sang elle paraissait encore plus grande et sa robe fendue jusqu'en haut des cuisses dévoilait une jambe décharnée.

Rohini avait récupéré bien vite l'assurance qui la caractérisait et qui lui avait tant fait défaut lors du dernier Rassemblement. Elle ne semblait pas inquiète un seul instant de la manière dont Yama les avait toutes ré intronisé en même temps. Elle considérait que Yama leur avait rendu sa confiance. Elles pouvaient alors poursuivre leur labeur sans crainte, faisant fi du passé.

Devant le flamboyant de la robe de la sœur, Fanny se sentit à nouveau extrêmement humble et bien inférieure à ses frangines de besogne. Elle baissa les yeux sur sa tenue morne et sombre et compris toutes les différences qui les séparaient.

Rohini et Saranyù cachaient leur sombre "métier" en sortant presque tous les soirs et en ayant une vie sociale des plus enviées. Leurs fréquentations exubérantes se composaient de gens célèbres, des personnalités les plus en vue des milieux politiques, cinématographiques, littéraires, musicaux ou artistiques. Leurs agendas débordaient.

Dès qu'un concept novateur apparaissait, elles étaient parmi les premières à être conviées pour le découvrir. Ainsi, les restaurants gastronomiques les accueillaient très souvent à leurs tables. Il en allait de même pour les inaugurations de boîtes de nuit les plus prisées où les avant-premières d’expositions de grandes galeries d'art réputées. Pas un seul vernissage ne se déroulait sans leurs présences, toutes leurs soirées étaient réservées par des événements incontournables dans des lieux toujours plus insolites et inédits.

Elles jouissaient des avantages de l'inconvénient de leur labeur, elles avaient tant su en profiter, qu’elles s’étaient rendues indispensables.

Il en était de même pour le paraître, elles ne portaient que des vêtements de créateurs ou d'ateliers de confection et participaient à leurs défilés dans le monde entier.

Le champagne, seule boisson capable de séduire leurs papilles, était dégusté tout au long de la journée et arrosait leurs soirées.

Fanny, quant à elle, suivait toujours des cours à la fac comme une jeune fille sage au lieu de profiter, elle aussi, de tous les avantages que pouvait lui procurer son travail. Elle bénéficiait pourtant des mêmes prérogatives que Rohini et que Saranyù. Elles avaient été intronisées en même temps. Il y a déjà bien longtemps.

—Tiens ! Dhûmornâ ! Bonjour, comment ça va ?

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant