Chapitre 42 - Tu nous accuses ?

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Rohini et Saranyù posèrent leur coupe sur la table basse. Elles fixaient Fanny de leurs yeux ébahis, la pressant pour qu'elle poursuive son histoire.
— Qu'est ce que tu veux dire ? explosa Rohini.
Elle se redressa d’un coup pour mieux toiser sa sœur et l'interroger du regard. Elle dominait Fanny de toute sa hauteur et la finesse de son corps et de ses bras exagérait encore sa taille. Elle cracha son venin sans attendre :
— Tu viens nous accuser de quoi exactement ? Yama a confirmé la panne de logiciel. Il n’y a pas à revenir derrière !
Fanny commençait à se relever du sofa quand Saranyù s'approcha à son tour et d'une main ferme la repoussa contre le dossier du canapé.
— On t'écoute Dhûmornâ.
Les deux initiées, au visage creusé, toisaient Fanny de leurs yeux mauvais. Elles restaient suspendues à ses lèvres, à l’écoute des détails et prêtes à se défendre bec et ongle.
Les pupilles de Rohini et de Saranyù avaient pris cette teinte dorée qui apparaissait chaque fois qu'elles ôtaient la vie à un patient. Fanny connaissait bien ce moment et savait toute la haine et la méchanceté dont pouvaient faire preuve les deux demoiselles dans un tel moment. Elle aussi avait été comme ça et savait le risque de souffrance qu'elle encourait.
— Je ne dis pas… je ne dis pas que la panne n'a pas existée, parvint-elle a articuler, pour vite se justifier.

Dès qu'elle eut prononcé ces quelques mots, les yeux jaunes dorés de ses possibles prédatrices reprirent une couleur plus terne et un air plus léger pénétra les poumons de Fanny. Ses facultés réapparurent petit à petit, et elle pu reprendre son monologue.
— Je voulais juste vous dire que, pour mon cas, et uniquement pour mon cas, il ne s'agit pas d'un problème de logiciel. L'erreur de personne réquisitionnée, ça vient de moi.

Ses deux mains agrippaient le pied de la flûte à champagne jusqu’à en réchauffer le contenu. Sa panique lui ôtait toute soif de la boisson pétillante et la flûte entre ses mains la gênait tant qu’elle ne savait plus comment la tenir.
Nerveuse et soulagée d'avoir avoué ce fait à quelqu’un, elle n’en était pas moins inquiète. Les aveux libéraient sa conscience et aliénaient son avenir.

Les deux affidées se dévisagèrent l’une l’autre et scrutèrent Fanny qui attendait une réaction à la déclaration qu'elle venait de leur faire. Mais rien ne transperçait. Les deux belles, en tenue de soirée, semblaient ne pas savoir quoi dire. Elles restaient interdites face à cette révélation pour le moins surprenante de la part de l’adepte la plus insignifiante de l’équipe de Yama.

Rohini brisa le silence la première.
—  Comment ça ? Qu'est ce que tu veux dire ?
— J'ai réquisitionné sciemment une autre personne que celle pour laquelle je devais procéder et j'ai épargné le nom qui figurait dans mon téléphone, répéta lentement Fanny.

Saranyù et Rohini se figèrent. Pourquoi avait-elle fait ça ? C’était bien là une action totalement incohérente.
Par contre, une chose était sûre c’est que la faute commise par leur sœur ne resterait pas impunie. L'incartade, trop lourde de sens, serait forcément découverte et que les dommages collatéraux seraient énormes. Yama est le monarque du royaume des morts. Son emprise est totale et son pouvoir absolu. Par contre, l’apitoiement ne fait pas partie de ses capacités.

— Pourquoi tu as fais ça ? asticota Saranyù.
Sa voix ferme trahissait une inquiétude et ne laissait aucune place à une réponse trop évasive.
Fanny ne pouvait mourir, elle l'était déjà depuis plusieurs années.
Par contre, Saranyù ou même Rohini avaient la capacité de lui faire endurer toutes les souffrances de l'enfer. Et subir et souffrir faisait bien partie de leurs aptitudes.

— Je l'ai fait, … par amour, articula elle après un long silence et du bout des lèvres.

Puis elle ponctua sa phrase d'un sourire béat. Trop prisonnière de ses sentiments, elle ne voulait pas poursuivre son récit tant qu'elle ne détecterait pas un soupçon de réaction positive chez ses sœurs.
Celles-ci d'ailleurs se regardaient d’un air confus. Elles échangeaient des regards tour à tour et ne comprenaient pas comment Fanny, la plus ridicule, la plus quelconque du Rassemblement, si prévisible, pouvait avoir monté un stratagème comme celui qu'elle venait de raconter.
Fanny, hagarde, cherchait à capter un peu de bienfaisance chez l'une ou l'autre. Rien ne transperçait des visages fermés de ses sœurs.
Elle les dévisageait tour à tour quand soudain, Saranyù se redressa, comme si elle émergeait d'un coma, prit son temps pour lisser sa robe dorée du revers de la main, et s'empara de sa coupe de champagne. Elle s'en renversa une grande lampée, avant d'éclater de rire d'une façon exagérée, ricanant à la révélation de sa sœur.
Voyant la réaction forcée de Saranyù, Rohini l'imita et rit à son tour.
— N'importe quoi ! S'éclaffa-t-elle sans quitter Saranyù des yeux et en secouant la tête de droite à gauche pour nier les aveux de Fanny.
Puis cette dernière cessa brutalement de rire et prit la parole d’une voix grave.

— Tu comptes nous faire avaler ça ? Dhûmornâ ! T'as perdu la tête ou quoi ?

Le ton de la voix de Saranyù était assez fort pour dominer Fanny et son malaise. Sa voix dissimulait à peine toute la haine qu'elle pouvait contenir en elle. Et ce n’est pas son sourire faux sur ses lèvres peintes qui pouvait la masquer.

—Tu es morte ma vieille !

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant