Chapitre 34 -les soeurs attendaient le verdict

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Il redressa la tête et transmis son prêche par la pensée, aucun mot n'était prononcé.

Enfin, il dévisagea chaque membre de sa communauté, tour à tour, arrêtant ses yeux suspicieux sur chaque adepte. Il parla d’un car rempli d’écoliers qui avait quitté la route, après avoir percuté la glissière de sécurité et dont la course avait prit fin dans un ravin, plusieurs dizaines de mètres plus bas. Toutes les âmes des enfants s’étaient envolées au moment du crash et que le seul survivant s’avérait être le chauffeur. Pendant qu'il rapportait les faits, et que ses descriptions se firent plus précises, il fixait tour à tour Saranyù et Rohini.

Puis il parla d’inversion à plusieurs reprises, et ses yeux fixèrent Hemamâlâ, puis Vijayâ aussi. Fanny baissait les yeux, terrorisée à l’idée d’être interpelée. Tout son corps tremblait, elle avait chaud et transpirait à outrance. Tout son être criait sa culpabilité. Mais Yama ne s'attarda pas davantage sur elle que sur ses voisines. Elle sentit pourtant le poids de son intense regard qui hésitait sur chacune des abbesses.

Puis il termina son monologue sur la visite de Swarga et stoppa net sa phrase.

Lorsqu’il s’exprimait, ses mots étaient comme des flèches invisibles, chaque syllabe expulsée faisait l’effet d’une brûlure. Et ses silences lourds projetaient tout le mal dont il pouvait être capable.

Le temps qu’il avait pris pour dévisager les donzelles une à une n’avait d’autre but que d’affoler les éventuelles coupables.

Le son aigu de la clochette mit fin à cette interminable attente.

C’était maintenant le moment de la révélation. Les jambes de Fanny tremblaient. La station debout devenait pénible, elle était prête à défaillir.

Avant de lever la séance et comme à chaque fois, chaque sœur venait s’agenouiller devant la divinité et devait lui présenter la face interne de ses mains.

Yama y posait le crâne de l’extrémité de son danda   pendant quelques instants, et s’il le relevait en prononçant le mot « Yamunâ », la sœur était réintégrée dans ses fonctions et pouvait quitter le Temple. Dans l’autre cas…

Mais aujourd’hui, il semblait que les choses ne se passaient pas comme d’habitude. Yama était visiblement soucieux. Il prononçait bien le mot libérateur, en ôtant le crâne des mains des soumises, mais son attitude n’était pas ordinaire. Il semblait contraint et forcé. Et ça, ce n’était pas dans ses habitudes. Chaque fois qu’il prononçait le mot « Yamunâ », une fureur semblait traverser son regard perçant.

Arriva le tour de Rohini. Tremblante et terrorisée, elle s’agenouilla sur le petit banc au velours bleu nuit, elle garda la tête baissée et tendit ses mains en direction de Yama, paumes vers le ciel.

Comme précédemment, il posa son bâton sur les paumes de la jeune femme.

Seulement sept ou huit partisanes séparaient Fanny de Saranyù, elle pouvait alors épier la moindre des réactions du gardien maudit chaque fois qu’il soulevait son outil et qu’il articulait le mot magique libérateur.

Yama ne laissa son crâne dans les paumes de Rohini que quelques secondes. Lorsqu’il le releva, ses yeux transpercèrent le centre du front de la sœur, qui attendait le verdict.

Contre toute attente, celui-ci ne vint pas et Yama fit signe à la sœur suivante de s’installer sur le banc. La suivante était Saranyù. Elle obtempéra. Le scanner du crâne ne dura pas plus longtemps que pour Rohini. Il fit signe à la sœur qui suivait et reproduit le même manège. Les sourcils du Dieu des Enfers se touchaient presque, sa bouche renfrognée témoignait de sa froideur et sa culpabilité. Il se passait quelque chose d’anormal.

Soudain, Yama leva ses mains au ciel hurlant « Yamunâ » signifiant à toutes les disciples encore présentes dans le Temple de sortir. Toutes sans exception, l’échine courbée en signe de communion, elles obtempérèrent aussitôt à l’ordre reçu.

Fanny n’était pas la dernière à se faufiler à l'extérieur.

Au dehors, Fanny retrouva Rohini et Saranyù. Elles se dévisageaient sans oser se parler. Mais leurs yeux semblaient avoir les mêmes pensées. Si Yama les avait laissées partir c’est qu’il devait bien y avoir un problème avec les connexions entre leurs téléphones et le logiciel. Et sans doute qu’elles ne devaient pas être les seules à avoir commis des impairs. C’est peut être pour cela qu’il avait laissé partir tout le monde. Fanny avait eu de la chance. Pour cette fois en tout cas.

Fanny avoua à Saranyù qu’elle aussi elle avait eu un problème avec son téléphone. Que le nom qui était apparu n’était pas le bon et qu'elle avait également reçu un rappel à l’ordre qui réclamait des explications qu'elle n'avait su donner. Entendant ces mots, Rohini prit Fanny dans ses bras, heureuse que quelqu’un ait, aussi, rencontré ce problème et ose en parler.

Quelqu’un enfin les croyait, elles n'étaient plus seules.

Fanny était soulagée, sa pseudo-excuse semblait avoir fonctionné auprès d’une de ses sœurs.

Et Yama les avait laissées partir…

  (1) danda : ce terme signifie également bâton, massue, sceptre. On le trouve dans la mythologie hindoue.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant