Chapitre 49 - Les religieuses contemplatives

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Paul arpentait les pièces de son appartement devenu trop grand et trop silencieux pour lui. Chaque fois qu'il changeait de pièce, il s'attendait à croiser Emilie. C'est à ces détails là que l'absence pèse, que le manque s'insinue.

Finalement, il regrettait de ne pas être resté chez Fanny. Il n'aurait pas été aussi seul et elle aurait peut être allumé son ordinateur…

Aujourd'hui son cocon, qu'il trouvait tellement agréable lorsqu'Emilie lui donnait vie, était une toile morte de ses excès d'alcool, une peinture de désolation. Tout ce qui l'entourait représentait ce dont il avait envie de se détacher. Il fallait qu'il prenne l'air, il fallait qu'il change d'endroit s'il ne voulait pas se laisser submerger par la douleur et la solitude.

Paul prit un verre en se jurant qu'il resterait unique et alluma son ordinateur. Chercher un nouvel appartement lui donnerait un objectif sain. Puis il pensa à Fanny et au fait qu'il devait mettre les bouchées doubles. En quelques jours, sa vie était devenue une catastrophe.

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Les rayons du soleil d'hiver filtraient à travers les persiennes et réveillèrent Fanny. Il était tard. Elle avait probablement raté son cours à la fac, mais tant pis, ce matin, elle avait un programme chargé et beaucoup plus réjouissant que d'écouter ce vieux prof. Elle allait décider. Pour la première fois de sa vie, elle allait suivre les conseils de ses sœurs et profiter de la vie.

Objectif numéro un, changer toute sa garde robe.

Objectif numéro deux, retrouver Paul.

Fanny avait organisé son shopping. Elle avait rendez vous avec une conseillère en image qui l'aiderait à dégotter les vêtements qui mettraient ses formes en valeur tout en en masquant les rondeurs disgracieuses. Avec elle, elle visita les magasins les plus chics, elle dépensa sans compter pour s'offrir toutes les robes, pulls et chaussures qui lui plaisaient ; elle craqua aussi, en souvenir de son dernier essayage avec Paul, sur plusieurs ensembles de lingerie sexy.

Voilà, vu de l'extérieur, elle avait tout changé de son apparence. Sauf ses cheveux, qu'elle laissa dévaler, sans artifice, sur ses épaules et son eau de toilette au parfum de roses anciennes que pour rien au monde elle n'accepterait de changer.

Elle dut faire appel à un taxi pour la ramener chez elle tant elle était chargée de paquets.

Une fois à l'étage, elle déposa tous ses sacs, boîtes et sachets sur le sol. Elle regardait tous les achats qu'elle venait de faire et avait envie de rire. C'était totalement démesuré. Jamais de sa vie elle ne s'était autorisé pareilles dépenses. Elle sortit de leur boîte tous les vêtements et les étala partout sur le canapé, sur les fauteuils, sur le sol. Un beau désordre régnait dans son appartement. Tout cet excès de shopping la chamboulait et elle découvrait un nouveau bonheur. Elle avait aimé à dévaliser les boutiques et à dépenser tout cet argent. Elle était euphorique et pour fêter ce tournant à sa vie, elle se prépara une boisson avec un peu d'alcool qui, une fois avalée, lui chavira un peu la tête.


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Durant sa courte vie d'humaine, Fanny, n'avait connu que la misère et les échecs. Elle avait vu le jour dans une toute petite ville du centre de la France où les femmes, là encore moins qu'ailleurs, n'avaient jamais leur mot à dire. C'était une époque où naître fille était une catastrophe pour les parents. Le nouveau né féminin donnait un adulte inférieur, soumis. L'homme régnait et les femmes obéissaient. Vivre seule sans être considérée comme fille de joie, était impossible, interdit. Aucunement le droit à décider de leur vie, les femmes d'alors ne pouvaient travailler sans un aval masculin. Sans fonds propres, elles étaient soumises à autorisation. Leur vie ne listait que des devoirs.

Les femmes de cette époque étaient considérées comme de petits animaux domestiques.

D'abord, elles se devaient d'écouter et de respecter un père, puis, à leur mariage, elles filaient sous le joug d'un mari qu'elles n'avaient pas toujours choisi.

Fanny était une jeune fille, maigrichonne et sauvage. A la campagne, il valait mieux naître garçon et costaud, pour reprendre la ferme et épouser une bonne paysanne qui saurait s'occuper des veaux et des chèvres.
Fanny en plus d'être le malheur de ses parents était fille unique.

Ainsi le choix pour ses parents de l'envoyer chez les bonnes sœurs ne fut pas difficile à prendre. On l’enferma dans le couvent des religieuses contemplatives, totalement retirées du monde, dans la solitude et le silence. Fanny n'avait pas choisi ce destin, et malgré toutes ses tentatives d'ouverture à Dieu, la foi ne lui vint jamais.

C'est pourquoi, totalement dépitée et après dix années de réclusion, la mère principale qui avait, à maintes reprises, constaté que Fanny ne prêtait décidément pas allégeance au seigneur, se décida à lui rendre sa liberté. Les parents de Fanny furent convoqués dans le bureau de la prieure et n'eurent d'autre choix que de la reprendre à la maison. Ils rentrèrent à la ferme encore plus abattus qu'ils n'en étaient partis, ramenant avec eux ce fardeau de Fanny. La jeune femme, heureuse de recouvrer un semblant de liberté, dégagée de son voile et de son uniforme suivait ses bourreaux quelques mètres en retrait, et ne se doutait pas un seul instant de l'avenir vers lequel elle sautillait.

Si elle avait imaginé ce que ses parents envisageaient pour elle, elle aurait certainement préféré rester enfermée chez les religieuses.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant