Chapitre 53 - Yama

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On avait beau traiter le père Chériot de vieux fou, c’était le seul qui croyait aux choses pas ordinaires. Parce qu’il en avait déjà été le témoin.

A plusieurs reprises, alors qu'il posait ses pièges au beau milieu de la nuit, il avait assisté à d'étranges manèges d'êtres, pas plus hauts que des enfants, dissimulés sous de larges capuches et de longues robes et qui semblaient se livrer à des messes noires.

Il avait tenté de raconter ce qu'il avait vu, mais les gens du village, trop effrayés, ne voulaient pas entendre ses histoires et l'avaient traité de fou. C’est ainsi qu’il avait gagné son surnom de "vieux fou".

Devant l'incrédulité des villageois, le père Chériot avait fini par ne plus adresser à parole à personne. Ne plus rien raconter pour échapper aux moqueries et taire toutes ses découvertes funestes les lendemains de pleine lune. Les chats sacrifiés qu’il trouvait cloués aux arbres et couverts de cire de bougie, il en serait désormais le seul témoin.

La falaise des Trois Loups ne devint plus le lieu de prédilection du vieux fou pour installer ses collets et recueillir lièvres et lapins. Lui savait qu'il n'y avait rien d'humain dans la disparition du corps de Fanny, aucun hasard. Le vieillard ermite fini par disparaître du village et plus personne n’entendit plus jamais parler de lui.

Eugène Chamant chercha sa femme pendant les mois qui suivirent, puis petit à petit, les travaux à la ferme occupèrent son temps et son esprit et fatiguèrent à outrance son corps. Il ne pensa plus à la belle Fanny que lorsqu'il devait se rendre au village voisin et échanger ses liasses de  billets contre l’accès à la maison aux volets toujours tirés sur un intérieur illuminé d'une lumière rouge.

Pendant que les habitants se ruaient au lieu indiqué par le vieil homme, les astres divins, avec la bienveillance de la lune, avaient pris possession du corps de Fanny et l'avait offert à Yama, le Dieu gardien de la porte des enfers.

Yama, avait la capacité de donner une sorte de vie à ceux qu'il estimait avoir été trop malmené par leur existence. Il avait donc accueilli le corps jeune et supplicié de Fanny et en contrepartie de sa résurrection, lui avait échu l'ordre d'ôter la vie à certains humains.

Ainsi, Fanny fut intronisée et obtint le droit et le devoir de réquisitionner les gens que lui indiquait son maître, Yama.

Le jour de son intronisation, parée des couleurs de Yama, le bleu et de doré, elle avait assisté aux paroles prononcées par un étrange animal aux cornes luisantes qui s'agitait face à elle et à deux autres filles qui arboraient les mêmes vêtements qu'elle.

Toutes trois n'entendaient rien aux mots qui sortaient de la bouche de la bête étrange. La seule chose qu’elles comprirent, c’est qu’elles venaient de recevoir un nouveau nom. Dhûmornâ, c’était à ce prénom là que Fanny devait répondre. Quant à ses deux voisines, elles s'appelaient dorénavant Rohini et Saranyù.

Les trois jeunes femmes furent enfermées dans une chambre où l'unique fenêtre ne leur permettait que de voir le ciel. Longtemps elles se dévisagèrent les unes les autres sans oser se parler. Combien de nuits, de jours restèrent-elles là, isolées ? Aucune n’auraient su le dire.

Les longues heures avaient défilé inéluctablement sans qu’aucune visite ne vienne rythmer leur détention. Tout ce qu’elles avait était du temps pour faire connaissance. Alors, au fil des jours, les bouches se délièrent.

Un jour, c'est Saranyù qui s'essaya la première à pousser la porte. Contre toute attente, celle-ci céda. La liberté retrouvée, les trois filles débouchèrent dans un couloir désert. Peut être celui d'un monastère. Difficile à dire. De grandes colonnes en pierres taillées soutenaient une avancée et laissaient voir un jardin fleuri aux allées rectilignes.

Trois sacs étaient posés devant la porte.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant