Chapitre 74 - Il n'avait plus rien à perdre, croyait-il

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Paul avait été incapable de servir un discours adapté à l'épouse de Marc, il la remercia de l’avoir prévenu et raccrocha désemparé, ne sachant plus que faire. Marc dans une église ! Voilà une nouvelle qui ne collait décidément pas du tout avec le personnage. Il avait dû se laisser embarquer dans une histoire avec une nonne… Il préférait ne pas connaître les dessous de l’histoire.

Il leva les yeux sur Fanny et Sarah qui s’étaient arrêtées de discuter pendant la conversation de Paul. Il ne prononça pas un seul mot, se dirigea vers la cuisine, où les deux filles attendaient sa réaction. Tel un zombie, il colla un baiser affectueux sur la tempe de Fanny et sans un regard à Sarah, il déguerpit de l’appartement.
Son départ fut si brutal que Fanny, surprise, n'eut pas le temps de réagir avant que la porte du monte charge ne s’ouvre sur le rez-de-chaussée.

Saranyù retint Dhûmornâ par le bras.

— Qu'est ce que tu fais ? Laisse-le filer.

— Mais...

— Et de un !

— De quoi tu parles ?

— On vient de recevoir en direct la confirmation de la réquisition de Marc. Ça le chamboule à fond. Dans peu de temps, il sera à notre merci. Attends les nouvelles de la petite secrétaire et tu verras. Il commence déjà à perdre pied. Quand le travail de Rohini sera terminé et que la santé de ses parents va commencer à vaciller, il perdra tous ses repères et on sera en mesure de faire de lui tout ce qu’on veut.

Aussitôt dit, Saranyù se pourlécha à l'idée de raconter à Fanny tous les détails de la réquisition de Marc.
Fanny, navrée du départ de son amoureux, écouta le récit d'une oreille distraite. A voir l'engouement avec lequel sa sœur de réquisition étalait sa dextérité à tuer un humain, elle percevait sa malfaisance et son absence de sentiment. Son travail l'avait rendue plus cruelle encore que son maître. Dans l'obéissance qu'elle portait à Yama, c'est la mise à mort qu'elle chérissait. Elle se régalait de l'agonie des corps desquels elle absorbait la vie. Lorsque le rayonnement de l'âme déclinait petit à petit, et jusqu'à ce que la petite flamme des pupilles s'éteigne doucement, Saranyù savourait tous les instants.

La vraie nature de Saranyù, elle la connaissait. Pourtant aujourd’hui, cette nature démoniaque l’incommodait. Et Fanny ne savait pas si c’est ce sentiment ou la révélation de l’évidence qui l'attrista d'autant.

Dans la rue, les émotions de Paul se bousculaient. Les pressentiments se faisaient jour, tous les signaux étaient au vert : ces filles étaient maléfiques et elles n’étaient pas pour rien dans tout ce qui se passait autour de lui. Terrassé par cette constatation, il s’enferma dans sa voiture, sans comprendre cette fatalité qui semblait s'acharner.

Dehors, les rues de la zone industrielle étaient désertes. Un lampadaire grésillait une lumière qui révélait tout juste les détritus qui jonchaient le sol.

Paul posa sa tête, face contre le volant. L'ombre de la nuit estompait sa haine de la vie. C’était maintenant au tour des ténèbres d’abriter ses malheurs, mais les ombres cruelles ne cessaient de gonfler son chagrin.
Le temps avait étiré les minutes jusqu’à les changer en heures et déjà, la lumière blafarde de l’aube suppliait le petit jour de prendre le relais.

Le petit matin réveilla le corps endolori de Paul, par la mauvaise position prise pendant cette étrange nuit. Ce sommeil agité n'avait que peu reconstitué ses forces, mais n’avait pas fait disparaître son besoin de comprendre. Bien au contraire, la douleur était là pour le rappeler à son devoir. Il se contorsionna pour s’extraire du petit habitacle lorsqu'il aperçut Fanny qui sortait de chez elle. Il se dissimula derrière la carrosserie, pour ne pas être surpris. Il la suivit des yeux un instant. Où allait-elle ?

Il décida de la suivre.

Ses soupçons prenaient un caractère avéré. L’étudiante ne se dirigeait pas vers la fac.

Par quoi était-il si surpris ? La confusion de ses sentiments ? Ou bien la satisfaction d’avoir raison et toutes les désillusions qu’il avait tenté de nourrir sur cette jeune femme, alors qu’elle avait, à n'en pas douter, sa part de responsabilité dans les évènements récents. Elle, et sûrement ses copines, aussi. Il allait lui coller aux basques comme un bout de scotch qui s'agrippe tour à tour d'un doigt sur l'autre. Peut être que ça le mènerait à la vérité.

Ses espoirs furent exaucés plus vite qu’il ne le croyait.
Fanny venait retrouver ses deux copines devant un bâtiment ancien, entouré d’un mur sur lequel des tessons de bouteilles avaient été scellés, pour prévenir les intrusions. Il connaissait cet endroit, mais jamais il ne s’était posé la question de ce qui se cachait derrière la haute clôture bâtie en pierres de taille. En ville, des on-dit parlaient d'une secte…

Dissimulé derrière la haie de l’unique parc de la ville, il avait une vue imprenable pour espionner cette fille, qu’il croyait connaître.

En un rien de temps, comme un essaim d’abeilles, d'autres filles, aux profils semblables, avaient rejoint Fanny, Sarah et Roseline. Toutes avaient cette même maigreur et convergeaient, d'une démarche mécanique, vers ce même lieu, comme des automates.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant