Chapitre 78 - Son bureau disparaissait sous les livres

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Fanny revint à elle, allongée entre deux poufs près d’une gigantesque table. Elle se redressa et découvrit un environnement inconnu. La statue dorée d’un Bouddha, d'au moins trois mètres de haut, la baignait d'un air serein et impassible, depuis l'estrade. Fanny ne connaissait pas cet endroit. Jamais elle n'avait mis les pieds dans un temple quel qu’il soit, elle n'était même pas croyante !

Le parfait alignement des sièges de cuir synthétique bleus, face à cette énorme statue, aux pieds de laquelle des fruits étaient livrés en offrande, lui laissa penser qu’elle se trouvait peut-être, dans un temple Bouddhiste. Mais elle ne savait ni pourquoi, ni comment elle avait atterri là.

C'est un peu abasourdi qu'elle se dirigea vers ce qu’elle pensait être la sortie. Dehors, sa première inspiration emplit ses poumons de l'air piquant de cette fin novembre. Ses narines accueillirent frileusement cet air froid et humide qui lui déchira la trachée. L’air forçait l’entrée de son corps, comme la toute première inspiration qui avait déployé ses poumons, le jour de sa naissance. Elle aurait crié tant cette douleur était aigüe.

Elle retint ses cris pour ne pas attirer l'attention des passants dans la rue.

Cette rue, elle la connaissait pourtant bien. Mille fois elle l'avait empruntée entre chez elle et la faculté de médecine. C'était son itinéraire. En quittant ce lieu étrange, elle se retourna quand même sur cette grosse bâtisse à laquelle elle n’avait jamais prêté attention plus que ça ; d’autant qu’en ville, il se disait qu’elle renfermait une secte. Quelle étrangeté ! Pourquoi se retrouvait-elle ici ?

D'un bon pas, elle tourna en direction de la zone industrielle. Elle se sentait plus à l'aise dans ce lieu plus familier et ses émotions se tranquillisaient lorsqu'elle traversa le hangar désert où quelques papiers sales trainaient. Elle appela le monte charge qui la mènerait à son petit appartement.

A l'étage, elle retrouva avec bonheur, le long couloir étroit qui desservait tous les appartements, loués pour la plupart à des étudiants comme elle. Elles s‘était installée dans cet entrepôt, où le propriétaire avait aménagé plusieurs studios, aux loyers aussi étroits que la surface louée. Mais son intérieur était à son image et respectait son budget. Ses meubles, chinés dans des vide-greniers, et sa décoration minimaliste, allaient parfaitement avec son caractère.

Après avoir posé ses chaussures, elle fila dans sa kitchenette mettre la bouilloire à chauffer. Un thé serait le bienvenu. Elle était un peu secouée lorsqu'elle repensait à l'endroit où elle venait de se réveiller, sans souvenir aucun d’y être un jour entré, ni de ce qu’elle y faisait. Il lui était difficile d'intégrer que son cerveau avait pu oublier une partie de sa journée.

Elle s'approcha de son bureau, qui disparaissait sous les livres ouverts et les cahiers griffonnés, et attrapa un manuel au titre évocateur "La médecine face à la mort" (*) . Munie de sa tasse, de ses lunettes et de son ouvrage, elle se lova sur son canapé aux coussins défoncés, et enfouit ses pieds froids sous le vieux plaid à carreaux.

Elle devait vite se remettre à ses révisions, les partiels avaient lieu dans quelques jours.
Elle ouvrit le livre sur ses genoux, mais impossible de se concentrer sur les écrits. Il lui tardait que Paul la rejoigne pour qu'elle lui raconte ce qui lui était arrivé. Elle ne pensait qu’à l’étrangeté de ce bâtiment, dans lequel elle s’était réveillée un peu plus tôt.

Elle feuilleta alors la table des matières à la recherche d'information sur l’amnésie rétrograde. Pas de pathologie organique, elle se savait en bonne santé, mais les causes pouvaient être tellement diverses et nombreuses. De la lésion cérébrale, à la maladie psychiatrique, en passant par le trouble psychologique, elle voulait étudier toutes les pistes et ne faire abstraction d’aucune. Qu'était-il arrivé à son cerveau ? Qu’est-ce qui ne fonctionnait pas, ou plus, chez elle ?

Rien de ce qu’elle trouvait dans ses cours ne correspondait. Elle n’avait aucun des symptômes décrits qui auraient pu expliquer cette soudaine perte de mémoire.

L'énervement et la fatigue mêlèrent les lignes de sa lecture qui finirent par s'entrecroiser jusqu'à créer un réseau ferroviaire de lettres et de mots. Ses yeux fatigués se fermèrent. Emportée par un abattement qu'elle n'avait jamais connu, elle abandonna ses recherches et se laissa couler dans un sommeil lourd et réparateur.


(*)  de Marie-Frédérique Bacqué, aux Editions l’Esprit du Temps

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant