Chapitre 43 - Elle aurait dû garder son secret

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Nous avons été intronisées toutes les trois en même temps. C'était au vingtième siècle, en 1914, la première guerre mondiale venait tout juste d'éclater... Tu es sur terre pour tuer les gens lorsque Yama te le commande. Tu es la main armée du tout puissant qui décide de la vie et de la mort des humains. Tu n'as pas de cœur, tu n'as pas de conscience. Tu es vide à l'intérieur. Tu ne crains ni la maladie, ni la mort. Tout ce que tu peux craindre c'est la décision divine de Yama qui du jour au lendemain peut ne plus te ré-introniser et ainsi changer ton corps en poussière en l'espace de quelques secondes. Voila ce que c'est ta vie Dhûmornâ. Tu ne peux donc pas être amoureuse !

Réveille-toi !

Son sermon terminé, Saranyù se rassit, porta sa flûte de champagne à ses lèvres, elle avala une gorgée sans regarder Fanny, pour ne pas croiser le regard empli de larmes de sa coupable de sœur.

— Mais... , essaya d'articuler Fanny.

— On t'écoute, Fanny, explique toi, aboya Saranyù.

Rohini, de son côté, restait interdite.

Les propos de Saranyù avaient terrassée une Fanny laissée sans voix, hébétée. Bien sûr que les propos de sa sœur étaient criant de vérité, indiscutables. Que tout ce que Saranyù venait de dire n’était que la stricte vérité.

Mais pourtant elle, elle était amoureuse de Paul. Comment ses sœurs ne pouvaient-elles pas ne pas comprendre ce qu’elle ressentait ?

— Qu'est ce que vous voulez que je vous dise. Je sais bien que je ne peux pas tomber amoureuse. Je sais que je suis une des petites mains de la Mort. Mais moi, Paul, je l'aime… Et je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça. Je ne sais pas plus l’expliquer que vous ! Mais en plus, Paul, lui, il m’aime aussi.

Saranyù avait les yeux révulsés et injectés de sang. Elle les levait au ciel comme si celui-ci avait un quelconque pouvoir sur les dires incongrus de sa sœur. Elle était au bord de l'apoplexie. Si elle avait pu mourir, ce serait déjà fait.

Fanny, le visage bouffi et rougi de ses pleurs ne cessait de dévisager les deux nonnes. L'une qui s'était changée en bibelot tellement elle était devenue stoïque et l'autre était au bord de la crise de nerfs. Elle ne savait plus quoi faire. Elle qui était venue chercher du soutien, elle avait juste réussi à semer le trouble dans la vie bien établie de ces deux belles femmes du monde, elles aussi tueuses d'humains.

Finalement, Fanny choisit de se tourner vers Rohini pour lui donner plus d'explication. Elle avait toujours eu plus d'atomes crochus avec elle qu'avec Saranyù.

— En fait, j'étais en train de réquisitionner le mari d'une vieille femme à l'hôpital lorsque j'ai vu ce garçon ébouriffé dans la salle d'attente. Je ne savais pas qui c'était, et je m'en moquais bien alors. Mais quand mes yeux ont croisé son regard perdu, il s'est passé quelque chose en moi. Un peu plus tard, mon téléphone a reçu le message de réquisitionner un certain Paul Carmin. Je ne savais pas encore qu'il s'agissait de ce jeune homme qui occupait mon esprit et dont je ne pouvais m'empêcher de suivre les faits et gestes. Tout ce que je savais c'est que j'étais comme hypnotisée par ce garçon.

Plus tard, lorsque j'ai su que Paul Carmin c'était lui, je n'ai pas pu officier. J'étais paniquée. J'ai essayé de le fuir. Et je ne sais pas pourquoi, où que j'allais, je le trouvais sur mon chemin. C'est lorsque j'ai vu qu'il cherchait à me parler que j'ai décidé de ne pas lui ôter la vie. Puis j'ai effacé l’ordre de réquisition de Yama.

— Pffff, soupira Saranyù. Elle secoua la tête les yeux tournés vers le ciel, comme si elle le priait. Il n'était pas question qu'elle avale une histoire comme ça.

—Je vous jure les filles. Ce que je ressens pour ce garçon, je ne saurais le décrire. C’est pour ça que je n’ai pas pu faire autrement que de tuer sa copine. Il fallait bien que je me débarrasse de la personne qui pouvait m'éloigner de lui. Et puis, j'étais totalement incapable de le tuer lui. Comment aurais-je pu ? Il n'y avait plus qu'une seule solution qui s'offrait à moi : la tuer à sa place. Ainsi, pour notre maître, j'avais bien réquisitionné une personne et  pour moi je me débarrassais de ma rivale.

— Ok, tu as refusé d’obéir et dans le même temps tu as réquisitionné quelqu'un de son entourage. Tu es inconsciente. Je n’ai rien d’autre à dire.

Saranyù blêmissait au fur et à mesure qu'elle prenait la mesure des agissements de Fanny. A bout de nerf, elle prit Rohini par le bras et l’entraîna à l’écart du salon et de Fanny. Seules dans le couloir, elles s'interrogeaient du regard. Que pouvaient-elles faire ?

Fanny, restée seule dans le salon, regrettait d’avoir avoué ses agissements à ses deux adoratrices de Yama. Si elle n’avait rien dit, elle n’aurait pas besoin de se défendre. Fanny reniflait, les yeux noyés de larmes encadrant un nez rouge qui avait doublé de volume. Elle était incapable d'articuler un seul mot. Elle s’en voulait de s’être livrée ainsi pour être ensuite abandonnée. Elle aurait dû garder son secret.

Elle s'apprêtait à quitter ce domicile de pieuses, lorsque celles-ci revinrent s’asseoir près de Fanny dans le sofa, interdisant sa fuite.

L'audace du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant