Chp 18 - Faith : Makalos

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Pangu


Des coups violents résonnent à peine ai-je verrouillé le sas.

— Quelqu'un viendra vous délivrer, murmuré-je derrière la porte blindée.

Ou pas. Ce n'est plus mon affaire. Ces deux hommes que je viens d'enfermer dans le vaisseau, posé au milieu de nulle part, n'ont pas cherché à empêcher leur collègue d'abuser de moi. Pas plus qu'ils n'ont discuté les ordres du SVGARD pour m'emmener vers le triste destin qui m'attendait. S'ils meurent ici, tant pis.

Le rover s'éloigne de l'astronef, et bientôt, je ne vois plus qu'une plaine vide. Je ne pensais pas que cette planète était aussi grande, qu'il pouvait y avoir des endroits aussi vides. Je ne peux m'empêcher de penser à Tamyan, Rizhen et Tymyr, et d'imaginer le plaisir qu'ils prendraient à chasser sur ces grands espaces. Il y a encore plein de choses à découvrir ici... mais on nous a volé cette opportunité.

Je me suis posée loin, pensant que cela m'éviterait d'être repérée. Et maintenant, ce voyage vers notre territoire, vers mon fils, me parait interminable. Je ne croise pas une âme qui vive. Et lorsque j'arrive enfin en vue des abords familiers de notre domaine, à la tombée de la nuit, je sens mon cœur se serrer de nostalgie et d'appréhension. Jusqu'à tomber sur les ruines noircies de notre maison. Gerald a tout brûlé, y compris l'arbre-lige. Je tourne la tête et continue ma progression. Les larmes et le regrets, ce sera pour plus tard, quand je tiendrais mon bébé aux oreilles découpées dans mes bras.

Je contourne la forêt, celle qui m'a servi d'abri, avec Cyann, où j'ai vécu de mousse, d'aiguilles de pin et d'eau gouttant des feuilles des arbres, comme une créature de la forêt. Comme ce temps me semble lointain... c'est là, dans cette humidité émeraude où le soleil ne perce presque pas, que je suis devenue ældienne, pas entre les bras de Tamyan, sous sa morsure ou son étreinte. C'était ici, alors que je luttais pour survivre avec mon fils, lovée dans une tanière. Cette forêt a abrité mes peurs et mes espoirs. Elle m'a couvé, nourrie comme un utérus.

Puis la plaine, à nouveau. Les champs. Mon cœur bondit. La dernière fois que j'ai vu Cyann, c'était là.

Mais il n'y a plus personne. Les champs sont fauchés, et de mon fils, il ne reste nulle trace.

J'arpente les champs, de plus en plus désespérée, à la recherche de quelque chose. Il fait maintenant nuit. La forêt n'est plus visible derrière moi, ni le champ où j'ai croisé la femme à qui j'ai confié Cyann. Je traverse une parcelle, puis une autre, et une autre encore, les phares du rover capturant de temps en temps un animal sauvage dans sa lumière aveuglante, perçant le noir de la nuit. Les bêtes sont revenues : le prédateur est parti. La vie a repris ses droits, et nous a exclu, nous les étrangers venus de l'espace profond. Gerald a brûlé nos traces, dispersé notre vie comme on soufflerai sur des braises. Il ne reste plus rien. Lorsqu'un cerf immense se fige devant moi, je coupe le moteur et reste là, les mains sur le volant, hypnotisée par ses yeux ambrés et inhumains. Ces grandes oreilles fines, ces cornes. La couleur éclatante de sa robe. La vision m'émeut tellement que je sens les larmes me monter aux yeux.

Je ne retrouverai jamais mon fils. Ni Tamyan, d'ailleurs. Je vais devoir m'enfoncer dans la forêt, et attendre, en stase, dans une existence suspendue, qu'il revienne. Cela peut-être jamais.

Soudain, j'aperçois une lumière dans la nuit. Une ferme.

Fébrile, je remets le contact et reprends la route.

Dans la cour, un homme sort à ma rencontre. Il porte une combinaison de travail et me dévisage d'une façon peu amène.

— Qui êtes-vous ? Et que faites-vous sur mes terres, à ravager mes champs ? Je vous ai vu il y a un petit bout de temps déjà, et je m'apprêtais à aller vous enguirlander !

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant