Interlude 4 : l'initiation ratée du prince Lathelennil

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Un seul geste du bout de son doigt pointu suffit à Uriel-le-Noir, terrible seigneur de la guerre, pour que les gardes orcs lui ouvrent la porte. Lorsqu'ils la refermèrent, il posa le regard sur son petit frère, assis devant une table où, comme de coutume, il bricolait des objets.

— Qu'est-ce cela ? s'enquit patiemment Uriel en soulevant entre ses longs doigts fins un artefact à la mystérieuse origine.

— Je ne sais pas encore, avoua son frère en le récupérant bien vite. On vient de me l'apporter d'un monde lointain.

Uriel se désintéressa des objets qui encombraient la grande table en hématite. Il s'approcha de l'immense arcade aux fines colonnes et au vitrail vert de gris, dont la lueur absinthe se reflétait sur le sol. Il jeta un œil peu concerné aux immenses tours d'obsidienne qui se dressaient dehors, aux croissants argent des minarets cruels, aux fleurs odorantes qui diffusaient leurs parfums sucrés et vénéneux dans le parc de leur palais, dont les feuilles des arbres étaient aussi acérées que des lames. La nuit – éternelle mais toujours différente à Dorśa – était plus envoûtante que jamais : leur frère aimait sa bien-aimée, et il le faisait savoir à toute sa cité en partageant les effluves capiteux de son luith, poussant ses sujets à étreindre leurs concubines, leurs consorts, ou leurs esclaves.

Discrètement, Uriel tourna son œil oblique sur son cadet. Ce dernier ne semblait pas affecté par le bonheur sensuel de leur aîné. Il continuait à bricoler ses objets barbares, sans se soucier du parfum lascif invitant aux caresses qui flottait en leur palais. Le regard du sombre Uriel tomba sur le spectaculaire panache de fourrure qui pendait du fauteuil ouvragé où était perché Lathelennil. Noire et blanche en parts égales et bien délimitées, sa robe formait un damier, semblable au carrelage – paraît-il – qui ornait le sol du temple de l'Étranger, sur l'île de Anwnwn. Un endroit où seuls pénétraient les plus braves, ceux qui étaient prêts à affronter le néant. C'était ce motif qui avait attiré l'attention des étranges visiteurs venus le voir aujourd'hui, et dont il avait à présent à s'entretenir avec Lathelennil.

— Petit frère, commença Uriel, se sentant encore plus hésitant qu'il ne l'était d'habitude derrière ce frère qu'il échouait à comprendre. Je reviens tout juste de la salle d'audience de notre aîné, où j'ai reçu deux ellith...

Lathelennil ne prit même pas la peine de répondre. Perché sur son fauteuil dans une posture à la fois acrobatique et négligée, il s'évertuait à débloquer le mécanisme minuscule d'un objet non moins minuscule avec une très fine et longue aiguille.

— Ai-je toute ton attention, Lathelennil ? s'enquit Uriel d'une voix un peu plus sombre. Ou dois-je demander à ces gardes de t'attacher en face de moi, pour que tu entendes ce que j'ai à te dire ?

— Je t'écoute, mon frère, répondit Lathelennil. Je suis tout ouïe.

Uriel se radoucit.

— Bien. Donc, ainsi que je te l'ai dit, j'ai reçu deux ellith... Deux dames au visage couvert d'un voile sertis d'éclats de cristal et de fleurs, un gris, un blanc. Sous le gris, j'ai vu les contours d'un visage diaphane, aux lèvres roses et délicates. Du voile dépassait une tresse épaisse, blanche comme l'hiver. Sous l'autre, j'ai entr'aperçu une bouche sensuelle, rouge comme une tache de sang sur la neige, et du voile blanc brodé d'argent dépassait une épaisse tresse brune... Leurs corps fins et souples m'ont paru d'une grande féminité, assortis de jolies courbes. Enfin, leurs manières m'ont semblé dignes de celles des plus nobles clans.

Lathelennil posa son outil, et cette fois, il se tourna vers Uriel.

— Pourquoi me chantes-tu cette description de vendeur du marché, mon frère ? En quoi cela m'intéresse-t-il ?

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant