Vaisseau-monde ældien Ráith Mebd
Bouche bée, je contemplai la magnificence du Ráith Mebd, l'immense vaisseau de la taille d'un platénoïde sur lequel les ældiens avaient emporté une partie de leur monde défunt. Le corps recomposé et flamboyant d'une créature titanesque, qui évoquait un mammifère marin d'Oceanos Zegma momifié et incrusté de mithrine. À côté de ce mastodonte indescriptible, la défunte Padma faisait office d'astrojet. Cette colonie ambulante qui servait de refuge à un grand nombre d'ædhil était une véritable sphère de Dyson, qui possédait son propre astre artificiel, enchâssé dans un véritable wyrm, dont l'esprit vivait encore.
Au moment d'apponter, Lathelennil, visiblement désireux de se rattraper – il alternait le chaud et le froid avec une versatilité déconcertante – m'avait un peu briefé sur ce navire légendaire :
« Je n'étais pas là quand c'est arrivé, mais à l'instar de chaque ædhel, dans tous les recoins de l'univers, j'ai ressenti le choc de la disparition de notre monde. J'assistais à une assemblée de clan avec tous mes frères. Le premier à l'avoir ressenti, c'est Fornost-Aran.
Notre monde... notre monde n'existait plus. Ses satellites, ses astres avaient disparu. À la place, la béance du néant. Tu sais ce que ça fait, de voir tout ce qu'on est, même si on l'a rejeté en croyant le haïr, disparaître dans l'oubli ? C'est indescriptible. À ce moment-là seulement nous avons compris, tous les quatre, que jamais, jamais, nous ne reverrions la splendeur de notre berceau natal. Les forêts de cerdyf dorés, le pourpre du ciel et les étendues de fleurs de Sang... Les monts au sommet touchant l'espace, le feu de la lave en fusion et les reflets verts des trois soleils sur la glace d'Æriban. Les vagues fracassantes, l'argent éclatant des cavernes à mithrine d'Ærung. Même la lande couleur d'eau et les forêts cuivrées de Tará, allions-nous les revoir un jour ? Je me suis mis à haïr profondément mes cousins, ceux qui étaient restés, et qui avaient pu profiter de tout cela avant que ça ne disparaisse pour toujours. Mes frères et moi étions effondrés. Sans voix. On nous avait tout pris. Tout.
Mais certains royaumes un peu isolés ont subsisté. C'est le cas de celui-là. Le royaume de Mebd... C'est le nom de ce vaisseau, encore aujourd'hui, plus de dix millénaires après, mené par le même ædhel, Edegil Aithleam, proclamé par les lumineux le Sage. C'est lui qu'on va voir. C'est un très vieil ellon, et comme il ne consomme pas de sang pour se maintenir, il est en bien moins bon état que nous. Il faudra être silencieuse, et ne pas le fatiguer par tes attaques incessantes. »
Là-dessus, Lathelennil m'avait caressé la joue, profitant que j'étais immobile, encore fascinée par son histoire.
— J'ai envie de t'embrasser, avait-il murmuré d'une voix rauque, tandis que ses griffes effleuraient ma cuisse. Quand tu me regardes comme ça, hypnotisée... Bientôt. D'abord, Edegil. Puis le cristal. Ensuite... Silivren.
Un sourire carnassier avait fendu son visage cruel, me montrant ses crocs minces et pointus. Je n'avais pas osé répliquer, et il en était satisfait.
Heureusement, une fois dans le vaisseau, Lathelennil sut se tenir. Il était aux aguets. Nous étions reçus par un clan ennemi, et parmi toutes ces lumières dorées et pastel, avec son caparaçon noir, le dorśari dénotait comme un gros cafard sur un tas de mithrine.
Les ældiens du lieu, plus nombreux que je n'en avais jamais vu, lui jetaient des regards rapides et effrayés. Leurs longs cheveux clairs étaient noués en demi-queue tressée, non semi-rasés et hérissés de dagues comme l'étaient ceux des dorśari. Leurs yeux – d'une couleur intense, comme une flaque de ciel, d'or liquide, d'ambre, ou même d'argent – nous fixaient, alors que leurs porteurs interrompaient leurs activités pour nous regarder passer. De moins en moins à l'aise, Lathelennil abaissa son shynawil pourpre sur son visage. C'était surtout lui, qu'on regardait : à moi, on ne me prêtait aucune attention.
J'avais passé trop de temps avec les Sombres, car la lumière fabuleuse du vaisseau me fit mal aux yeux. Et lorsque nous débouchâmes vers une salle immense, grande comme une région, je restai plantée sur place, le visage levé au plafond et la bouche bée, face au prodige qui se montrait devant moi. Un soleil. Petit, mais c'était bien un soleil qui éclairait une vallée de printemps éternel, des branches d'essences inconnues irradiant de parfums et de couleurs, figés pour toujours dans la lumière éclatante et délicate d'une aube de printemps. C'était si beau que je sentis les larmes me monter aux yeux.
— C'est d'une fadaise, grogna Lathelennil en tirant sur sa capuche pour se protéger du soleil qui le faisait cligner des yeux. D'un goût ! Ce n'est bon que pour les petites vierges de Lumière, qui gémissent sous les arbres en écrivant de la mauvaise poésie, rêvant de leur futur « consort » (Il me jeta un regard alarmé). Ne me dis pas que tu succombes à ces plaisirs tièdes, toi aussi ! Je te sais faite d'une autre trempe !
— C'est un spectacle que je n'ai jamais vu, lui répondis-je, agacée. Mais au fond de moi, ma mémoire génétique se souvient. Elle se souvient de ce que c'était que le Paradis. Tu as oublié, toi ? Tu m'as pourtant dit avoir regretté lorsque la catastrophe a anéanti Ultar !
— Je regrettais Hiver et, à la rigueur, Automne, grogna-t-il en réponse. Les crépuscules silencieux dans la forêt et les nuits étoilées sur la lande. Je suis dorśari, enfant de la Nuit ! Je déteste la lumière, la chaleur, le soleil. Et tous ces visages niais, heureux de vivre, dégoulinants de bons sentiments ! C'est écœurant. Regarde ces aios, censés représenter la force de défense de ce vaisseau. On dirait des femelles ! Même la plus inexpérimentée des Sœurs du Sang est plus virile que lui.
Lui, c'était le grand mâle blond aux cheveux lisses qui s'avançait vers nous d'un pas décidé. Si les anges de l'ancienne Terre avaient existé, alors ils auraient eu son visage. Sa bouche au pli sensuel invitait au baiser, ses mains belles et fortes, aux griffes courtes et lissées, à l'amour. Et son visage... Il était si beau que je restai, béate, à le regarder, sans pouvoir m'en détacher.
Le pincement féroce de Lathelennil sur mon bras me fit redescendre sur terre. Le bel ældien tourna alors son visage vers mon ravisseur, affichant un air réprobateur. Derrière lui, toute une escouade attendait, dissimulée dans des armures d'iridium scintillant.
— Veuillez avoir l'amabilité de me suivre, dit-il en regardant Lathelennil dans les yeux. L'ard-æl vous attend.
VOUS LISEZ
LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)
Science Fiction"Lle naa vanimë. Tu es mienne." Pour lui, je suis sa chose : une captive, une esclave. Qu'il traite mieux que les autres, qui a le droit à certains égards. Qu'il subjugue avec ce pouvoir d'attraction incroyable propre aux ældiens, qui fait perdre la...