Je scannai les environs, sur le qui-vive. Le décor avait changé. En lieu et place de la dalle de quartz qui couvrait le sol s'étalait un damier noir et blanc fracturé, envahi par les racines et les plantes sauvages. Un vent glacial faisait flotter les tentures déchirées aux armoiries passées, et les ogives qui tout à l'heure nous montraient l'espace s'ouvraient sur des paysages incolores et désolés. Au milieu de la salle, un arbre noir tendait ses branches sèches et poussiéreuses comme la main d'un mort. Des bardes, des monarques qui composaient l'assemblée du Ráith Mebd, nulle trace. J'étais revenue sur le vaisseau tombeau d'Arawn. Seule avec ce dernier.
— Tout à fait ma chère, dit le spectre, en écho à mes pensées. Vous êtes de nouveau parmi nous. Nous nous ennuyons tant, seuls dans les ténèbres...
Une petite musique aigre, que je reconnus pour être celle que j'avais entendue sur le Mirhendelas, se mit à résonner. Ou plutôt, elle avait été là depuis le début, mais je n'y avais pas fait attention. Arawn resserra sa prise sur mon épaule, tout en me faisant tourner autour de l'arbre mort. C'est là que je remarquais que nous n'étions plus seuls : tout le reste de sa Cour moribonde, ces fantômes d'ældiens morts du muil que nous avions abandonnés dans le Grand Vide, étaient là, autour de nous.
Je remarquai leur regard blanc, leurs joues hâves, leurs vêtements en guenilles. Ren et moi avions pillé cette Cour. Je l'avais soupçonné, mais j'en avais la confirmation désormais : aucun de ces malheureux ne connaissaient le repos.
— Là encore, vous avez raison, ma chère, sourit à nouveau Arawn dans un rictus qui dévoila des crocs déchaussés. Voyez mon fils, Círdan... Il a tant de remords, pour nous avoir abandonnés, moi, son père, et mes gens. Et ce sidhe maudit, Silivren, qui se nourrit d'âmes. J'imagine que, comme vous, il a devant lui le résultat de ses belles actions. Chacun voit midi à sa porte, Baran, vous êtes bien placée pour le savoir, vous qui avez trahi vos votre propre peuple !
À ma grande horreur, je commençai à remarquer des détails qui m'avaient échappé jusque-là. Des cadavres en décomposition étaient pendus aux branches. Humains ou ældiens, je n'aurais su dire. Des corbeaux noirs et énormes, picoraient leurs yeux. Je connaissais ces oiseaux pour en avoir entendu parler par Círdan. Visiblement, c'était un animal emblème de Tará, sa Cour d'origine.
— Tará... Oui. Comme je regrette de l'avoir quittée. Sais-tu que Tará est l'une des rares Cours ældiennes, avec Dorśa et Ealfaëma, qui avait survécu à la Chute ? Des 21 Royaumes, voilà tout ce qui reste... Trois Cours moribondes. Mais qu'importe, ma chère. Les trois monarques sont réunis aux mêmes endroits, et comme eux, vous danserez avec moi pour l'éternité. Ce sera votre rétribution pour avoir tout voulu, tout désiré, comme ces ædhil pathétiques qui se croyaient maîtres de l'univers !
Je me tournai alors vers Arawn et poussai un cri d'horreur : la moitié de son visage était décomposée. Ses cheveux avaient viré au blanc, et sa peau était devenue noire. Ce n'était pas la momie aux orbites vides d'Arawn que j'avais sous les yeux, mais Ren, mort !
Cette vision d'horreur m'entraîna dans une danse virevoltante et sans répit. Tour à tour, il prenait les traits d'Arawn, de Tanit, de Círdan, pour mieux reprendre ceux du cadavre de Ren. Tous ceux qui m'avaient menacé, de près ou de loin, et dont j'avais causé la mort, y compris Priyanca Varma. Et entre tout cela, j'avais droit à la vision fugitive d'un être à la beauté et la laideur impossible, qui exsudait la malice la plus terrifiante qu'il m'eut jamais été donné de ressentir. Shemehaz, le maître des illusions. Je le sus tout de suite.
Je me sentis alors tiré brutalement par l'épaule, littéralement éjectée de l'orbite magnétique de Shemehaz. La force m'envoya bouler dans les pendrillons, et je me retrouvai dans les bras de Syandel, qui me réceptionna. Il me sourit gentiment : je me sentis un peu rassurée en voyant qu'il avait retiré son masque.
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LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)
Science Fiction"Lle naa vanimë. Tu es mienne." Pour lui, je suis sa chose : une captive, une esclave. Qu'il traite mieux que les autres, qui a le droit à certains égards. Qu'il subjugue avec ce pouvoir d'attraction incroyable propre aux ældiens, qui fait perdre la...