Seule sur le grabat qui me servait de couche, enchaînée au mur par une boucle de mon collier, je songeai à la chance immense que j'avais eue en tombant sur Ren. Pas un seul ældien n'était comme lui. Tous ceux que j'avais rencontrés jusqu'ici possédaient au minimum un petit fond d'arrogance et de sadisme, absolument inexistant chez mon compagnon. Pas de cruauté gratuite chez lui, de comportement sociopathique imprévisible, d'instabilité émotionnelle dangereuse ou autre sentiment de supériorité. Pour lui, toutes les créatures vivantes avaient droit à la vie, même si, par nécessité dans ce monde hostile et belliqueux qui était nôtre, il était parfois (souvent) nécessaire de la leur ôter. Au combat, même s'il pouvait se montrer joueur et audacieux, Ren privilégiait toujours l'option la plus discrète, la plus rapide et la plus efficace, celle qui mettrait fin aux hostilités le plus vite. En outre, contrairement à tous ces ældiens qui ne vivaient que pour satisfaire leurs petits plaisirs souvent pervers et contenter leurs sens, Ren était d'une discipline et d'une moralité à toute épreuve, frôlant l'abnégation. En me remémorant les moments passés dans ses bras, ses étreintes si douces et affectueuses, la façon dont il venait vers moi, toute de bienveillance, de patience et de respect, les larmes me montèrent aux yeux. Je commençais à comprendre que Ren n'avait d'ældien que le nom et l'apparence.
Plus que n'importe qui d'autre, il aurait mérité d'être sapiens, me dis-je en tentant de trouver une position confortable sur ma couche. Lui, au moins, il a un cœur. Il éprouve de la compassion pour les êtres.
Sauf qu'il m'avait tourné le dos en m'abandonnant à mon sort, avant d'atomiser le lieu où je me trouvais et de disparaître sans un regard en arrière.
Incapable de contenir mes larmes plus longtemps, je me mis à pleurer en silence. Si un sluagh ou une de ces maudites eyslyns me voyaient, Uriel le saurait, et il viendrait me torturer encore plus pour se repaître de mon tourment. Cet ældien sinistre et méchant savourait le malheur comme du petit lait, et le sourire ne gagnait son visage cruel que lorsque quelqu'un souffrait. J'ignorais ce qui lui était arrivé pour qu'il devienne ainsi, mais j'étais obligé de le supporter en serrant les dents. Pour l'instant, Uriel restait à la première phase du jeu avec moi, comme un chat qui déguste sa proie en la poussant du bout des pattes avant de se jeter dessus, toutes griffes dehors. Ce jour-là arriverait : sur ce point, je ne me faisais aucune illusion.
Encore une fois, mes pensées dérivèrent sur Ren. Je me remémorai son visage inquiet lorsqu'il se rendait compte que j'étais préoccupée, triste ou juste mal à l'aise. Sa façon prudente et attentive d'être à l'écoute, de prévenir mes besoins et ceux de ses amis avant même qu'on n'ait rien formulé. Ses phrases gentilles qui se voulaient toujours rassurantes, son attitude résolument optimiste en toutes circonstances, à tel point qu'il m'arrivait parfois de le trouver mièvre, candide et naïf. Les choix qu'il faisait, celui d'aider les gens et de leur faire confiance malgré tout, sans cesser d'avoir l'espoir d'un monde meilleur. Le nombre de fois où, me croyant au fond du trou, je m'étais retrouvée, rassurée et sauvée, dans le confort bienveillant de ses bras alors que tout pétait autour de moi mais que cela n'avait plus aucune importance, parce qu'il était là et que l'horreur, la laideur des gens, de la guerre et des âmes n'était plus mon affaire. Ren était la lumière luisant au-dessus ce puits sans soleil au fond duquel j'étais née et retombée. Songer qu'il existait quelque part me donnait du courage.
Mais le temps des regrets était révolu. Je n'allais probablement plus jamais revoir Ren, ni connaître autre chose que la souffrance, la peur et l'inconfort. J'allais sûrement mourir ici.
Comme pour répondre à mes inquiétudes, la porte s'ouvrit sur le sluagh chargé de nous réveiller. Une autre journée morne, terrifiante et noire allait commencer. Le gobelinoïde vint me détacher d'un air revêche, et, trouvant que je ne me levais pas assez vite – j'étais encore toute fourbue de la séance de la veille – il me donna un vicieux coup de pied dans les côtes. Répliquer n'était pas une bonne idée : ces affreux gnomes maîtrisaient une forme de technologie inconnue, une arme gravitationnelle pouvant nous envoyer valser sur le mur rien qu'en claquant des doigts, et du reste, je n'en avais même plus envie.
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LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)
Science Fiction"Lle naa vanimë. Tu es mienne." Pour lui, je suis sa chose : une captive, une esclave. Qu'il traite mieux que les autres, qui a le droit à certains égards. Qu'il subjugue avec ce pouvoir d'attraction incroyable propre aux ældiens, qui fait perdre la...