Chp 20 - Faith : mon clan (1)

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Pangu. Territoire du clan du Feu Noir


Tamyan s'en va. Il me libère enfin, et... il me laisse Cyann. Je vais vivre avec Haroun et sa mère, loin de ce « territoire », de cette maison maudite dans laquelle j'ai mis au monde mon fils, sous l'arbre-lige du nouveau clan du Feu Noir, alors que l'ard-æl me tenait la main et que je le traitais de tous les noms. Le crépuscule, boule orange à travers les rideaux de sapin, n'aura plus personne pour l'admirer. La voix rauque et grave de Tamyan ne dira plus à mon oreille que cette lueur vers l'Ouest, c'est la direction de Tyrn-ann-nagh, une lumière que recherchent tous les ældiens de l'univers à travers les branches de leur arbre-lige, où qu'ils soient.

Tamyan, Tymyr et Rizhen ont pris toutes leurs affaires : à savoir, principalement, armes et armures. Le reste va rester là : couvertures antiques en soie khari, chaudes fourrures, et surtout, le bouclier fendu sur lequel est gravé le glyphe du clan, suspendu sur le mur derrière l'arbre-lige. Et les khangg, ces lits ældiens si confortables avec leurs enchevêtrements de branches, leur ouverture sur les étoiles, leurs rideaux intimistes et leurs couvertures moelleuses. Ce lit dans lequel j'ai vécu une passion torride et interdite avec Tamyan, et dans lequel je m'apprête à me glisser pour ma dernière nuit avec lui. Il a accepté de retarder son départ de quelques heures juste pour moi... alors que je ne lui avais rien demandé de la sorte.

Ne t'en fais pas, maïrea. Je serai vite de retour.

Vite. Pour un être âgé de plusieurs millénaires, je doute que cela ait la même signification que pour moi.

Tu as raison, murmure-t-il, penché sur moi, sa longue chevelure noire dénouée formant comme un rideau autour de nous, qui nous isole du monde. Une seconde dans tes bras, à écouter ton cœur battre contre le mien, à sentir tes joies et tes douleurs, le moindre soubresaut de tes nerfs, de ta peau, de tes muscles... chaque seconde de ce moment à me perdre dans tes yeux est une éternité, dont je me souviendrai pendant des siècles, et jusqu'à la fin du monde.

Justement. J'ai peur de ça. Lui, il va rester là-dessus, rêver éveillé sur son obsession du moment comme le font ceux de sa race et croire que cette « éternité » n'aura duré qu'une seconde. Et quand il va enfin penser à revenir me chercher, une fois sa guerre finie et sa vengeance accomplie, il ne trouvera que mon squelette, qu'il fera mettre sous verre, et sur lequel il s'allongera tous les jours en soupirant, une rose à la main...

Comme il l'a fait avec Alyz.

Merde. Je me mets à penser comme lui. Il m'a contaminé.

Alors, paniquée, je saisis le fils du temps qui s'effiloche entre mes doigts, m'y accroche. Les mains autour de son visage, plongée dans le puits d'azur de son regard, je le supplie.

Non. Ne pars pas. Ne me laisse pas.

Tamyan me regarde, et ses yeux sont immenses. Ces yeux qui, au début, me paraissaient simplement noirs. En réalité, ils changent de couleur constamment, comme un kaléidoscope. Me montrent des amas stellaires, un océan sous la lune, des éclats de givre, le vert profond des sapins de notre forêt.

Je ne survivrai pas longtemps séparée de toi, Tamyan. C'est trop tard. Je ne peux plus revenir en arrière.

Ses longs doigts, doucement, recueillent mes larmes. Il ferme le poing, puis le rouvre : j'y découvre trois diamants, et il me sourit. Un joli tour, me dit-il, avant de les réduire en poussière et de les faire tomber dans mes cheveux, comme une offrande.

Tamyan voulait quelque chose de moi. Je le lui offre. Je lui demande sa dague, refais ma natte, qu'il a dénouée pendant l'amour, puis la coupe. Tiens, lui dis-je en lui tendant l'épaisse tresse blanche. Tu te plaignais de ne rien avoir de moi. Je te donne mes cheveux, pour que tu te souviennes de mon odeur, de la couleur de cette fille qu'une prophétie avait désignée comme ta défaite, et que tu ne m'oublie pas. Ne m'oublie pas, Tamyan. Reviens me chercher.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant