Chp 17 - Rika : à l'image de la Nuit (4)

179 26 18
                                    

Dire que je n'avais pas la moindre appréhension en entrant dans cette immense salle de banquet serait mentir. Comme on pouvait s'y attendre, elle était à couper le souffle : tout, ou presque, était de cristal délicat, démultipliant par un savant jeu de transparence en fractale les arcades titanesques qui ornaient l'endroit. Au centre se dressait une immense table de banquet en U : on me plaça vers ses extrémités, ce qui me rassura.

Au centre, placé entre Edegil et Altanis, se tenait un ældien mâle que je pris d'abord pour Uriel. Mais sa chevelure était deux fois plus fournie, sa peau plus unie et d'une pâleur sans tâche, ses yeux d'encre vifs et détendus. C'était Tamyan Niśven. Je restai un moment bloquée sur son visage racé, d'une beauté stupéfiante, étonnamment plus douce que celle de ses trois frères cadets. Il semblait même plus jeune qu'eux ! Cependant, l'illusion ne dura pas : sa bouche, en voulant sourire, afficha un pli méprisant et cruel, dévoilant deux crocs acérés. Il avait bien le même ADN que ses frères.

Lorsqu'il tourna son regard intense vers moi, je crus défaillir.

Qu'il est beau.

Ce n'était donc pas une légende.

— C'est donc elle, dit-il d'une voix suave, grave et enrouée comme un bon whisky. La fameuse Rika Srsen... Intendante d'Uriel, et ta nouvelle conquête, cousin, me suis-je laissé dire ?

Lathelennil me jeta un regard rapide. Il avait l'air de quêter mon approbation.

— C'est la femelle d'un sidhe æribani à qui je suis redevable, grinça-t-il à regret après avoir croisé mon regard équivoque. Malheureusement.

— Ar-waën Elaig Silivren, c'est ça... pourquoi n'est-il pas là ? Je voudrais lui parler.

Lathelennil attrapa la coupe sur la table et se mit à boire, encoléré. Un héraut vint annoncer le début des festivités, et quelques musiciens vinrent nous réjouir les oreilles de leurs harpes délicates.

— J'ai ouï-dire qu'on aurait un joueur de clairśeach, à bord, sourit Tamyan alors que les plats circulaient entre les convives. Il se trouve que je pratique aussi... ça m'intéresserait de l'écouter.

Il est au courant, pour Ren, compris-je. Et il insiste pour le voir... Qu'est-ce qu'il lui veut ?

Lathelennil, placé à côté de moi, me jeta un regard qui se voulait discret.

Ne t'inquiète pas, me glissa-t-il rapidement à l'oreille, je ne dirais rien.

— Je doute que vous goûtiez réellement à ce divertissement, Sire Tamyan, sourit Mana en attrapant délicatement son verre de gwidth entre ses longs doigts. En général, ses chants sont railleurs et acides pour le commanditaire !

— Sans parler des terribles conséquences qui accompagnent l'intervention de l'artiste en question, ajouta Edegil sombrement.

Tamyan sourit.

— Donc, vous avouez cacher l'Aonaran dans votre cour, Edegil.

— Je n'avoue rien du tout. Je n'en sais pas plus que vous. Il peut se trouver là, ou non. Nous avons la guilde du Chemin Voilé parmi nous, en revanche : cela au moins, est attesté.

— L'Aonaran ne voyage jamais avec une troupe, corrigea Tamyan. Même les filidhean se gardent de lui. Non vraiment, j'insiste pour le voir. Puisque mon cousin Uriel a été attaqué par l'Adversaire... et que moi aussi, d'une certaine façon, j'ai été touchée personnellement.

Un silence tomba sur l'assemblée.

Círdan, qui était assis de l'autre côté de la table en U, se leva alors. En sa qualité de prince, il avait lui aussi été convié. Je remarquai que Tamyan lui jetait un vif regard, presque... meurtrier.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant