Pangu, colonie agricole de la bordure extérieure
Je ne travaille pas ce soir. Haroun m'a obligé à prendre des congés : il veut que je me repose. Je suis dans ma chambre avec Cyann, ressassant la conversation que j'ai eu avec Tamyan tout à l'heure, juste avant de me retirer ici.
Il veut te baiser. Je l'ai senti sur lui, la dernière fois au dispensaire. Il puait l'envie de sexe.
Outre la vulgarité de Tamyan, et les intentions dégoûtantes qu'il prête à ce pauvre Haroun, il y a quelque chose qui m'inquiète.
Quand je lui ai demandé s'il s'était rendu au dispensaire, et quand, le sourire de Tamyan s'est élargi. Il s'est installé dans son fauteuil favori, cette cathèdre formée de planches et de barres de fer que j'appelle son « trône ».
Hier. J'étais curieux de voir comment tu passais tes journées... je n'ai pas été déçu. Ce Haroun... il n'attend que ça.
J'ai défendu Haroun. Lui ai rappelé qu'il n'était pas ce genre d'homme.
En tout cas, ce n'est pas un mâle pour toi. Il ne te mérite pas. Il n'a aucune qualité. Tu t'ennuierais, avec lui.
M'ennuyer... ? Drôle de choix de mots... Haroun a plein de qualités. Tamyan m'a demandé de les énumérer, et je lui ai dit qu'il était gentil, pour commencer.
Son ricanement quand j'ai prononcé le mot « gentil »... Je ne connais pas plus méprisant.
Gentil ? C'est une qualité, ça ?
À court d'arguments, j'ai dit que Haroun faisait bien la cuisine.
Moins bien que moi !
La stupéfaction m'a coupé la chique. Parce qu'il fait la cuisine, lui ? Tamyan a toujours eu des serviteurs pour tout lui faire, même lui brosser les cheveux et lui couper les ongles. Je lui ai dit tout haut ce que je pensais.
Demande à Rizhen, qu'il te raconte l'époque où nous étions deux jeunes gladiateurs aux arènes d'Ymmaril. C'est moi qui cuisinais pour nous deux.
Là encore, la révélation m'a ôté les mots de la bouche. Tamyan a été gladiateur... En fait, je ne sais rien sur son passé. Rien.
Qu'importe.
Je me suis sentie très lasse, car Tamyan est un vampire, qui me vide de toute mon énergie. Je lui murmuré que faire griller de la viande, ce n'était pas faire la cuisine. Et il a pris ça pour un défi.
Je t'invite à un festin, dans... deux lunes. Rien que tous les deux. Et c'est moi qui ferai la cuisine, de A jusqu'à Z ! Tu verras.
Je n'y crois pas une seconde. Mais si c'était vrai... si Tamyan pouvait effectivement se transformer en prince charmant attentionné et gentil, qui fait bien la cuisine, s'occupe de moi, m'aime sincèrement, pour ce que je suis, sans vouloir me faire du mal, m'utiliser, me faire saigner ou me mépriser, alors, oui, il serait vraiment irrésistible, et rien dans ce monde ne pourrait m'empêcher de l'aimer.
Je laisse ma joue retomber sur l'oreiller, et, du bout du doigt, caresse les petits cheveux noirs et délicatement bouclés de Cyann. Il ne me ressemble pas du tout. Des oreilles pointues jusqu'aux dents, il a tout de son père. La cruauté en moins... c'est un gentil petit être, innocent. Comme tous les enfants, j'imagine.
Au moment où j'arrive enfin à fermer les yeux, des bruits bizarres me tirent du sommeil. Je me lève, passe un pull et ouvre la porte, mon fils dans les bras.
Tamyan, Tymyr et Rizhen sont dans la pièce à vivre, en armure complète. Tamyan est en train d'enrouler une espèce de faucille à chaîne autour de son avant-bras, comme s'il partait à la guerre. Ses cheveux noirs coulent sur son armure, quelques mèches accrochées aux angles cruels des spalières.
— Qu'est-ce qui se passe ?
Tamyan aboie un ordre à Rizhen, en dorśari.
— Tout va bien, as-ellyn, on s'occupe de tout. Retourne dans ta chambre avec le prince.
— Non, je veux savoir ce qui se passe, Rizhen !
— Un bataillon d'humains armés. Ils sont sur la route, à cinq cents mètres. Trois d'entre eux arrivent vers nous. Ils seront là dans...
Un coup à la porte.
Tamyan pousse un juron. Je l'entends grogner, et Tymyr serre ses grosses mains sur sa massue.
— Je me les fais, ard-æl. Rizhen, protège le prince !
Ils croient qu'on vient pour les attaquer... Dans un éclair de lucidité, je donne Cyann à Tamyan – ce qui a pour mérite de le désamorcer – et passe devant Tymyr.
— As-ellyn, non ! beugle la guerrière orc.
— Planquez-vous sous vos shynawil, soufflé-je.
Et j'ouvre la porte.
Trois fermiers se tiennent derrière la porte, collisionneurs en bandoulière. Je reconnais l'un d'eux, Enry Lavill, dont j'ai soigné le fils il y a quelques jours.
— Bien l'bonsoir, m'ame Nishven, salue-t-il en enlevant son chapeau. On part en battue pour débusquer les bêtes sauvages qui s'attaquent aux troupeaux... est-ce que votre mari est là ?
Madame Nishven ?
Je déglutis péniblement.
— Mon mari ?
— Monsieur Nishven, Damian Nishven. Je lui ai parlé hier, et comme c'est un ancien légionnaire, j'ai pensé...
La main plastronnée d'iridium de Tamyan se pose sur mon épaule. Il est juste derrière moi. Et à voir la tête de ces trois hommes, il a rabattu sa cape de camouflage.
— Bonsoir, dit-il de sa voix grave, le ton suave.
Le regard d'Enry passe de lui à moi, puis revient sur Tamyan, et retombe à nouveau sur moi.
— Euh...
— On vous remboursera, pour les zubrons. Ça vous va ?
— Eh bien...
Tamyan ouvre sa paume. J'y vois l'un des anneaux que Rizhen portait aux oreilles.
— Prenez ça en guise de compensation. C'est du mithrine.
Le fermier reste sans voix.
— Mais je... tente-t-il.
— J'insiste, appuie Tamyan en lui fourrant d'office l'anneau dans la main.
L'homme prend lentement le bijou.
— Que la nuit vous soit douce, conclut Tamyan avant de refermer la porte.
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LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)
Science Fiction"Lle naa vanimë. Tu es mienne." Pour lui, je suis sa chose : une captive, une esclave. Qu'il traite mieux que les autres, qui a le droit à certains égards. Qu'il subjugue avec ce pouvoir d'attraction incroyable propre aux ældiens, qui fait perdre la...