Chp 6 - Isolda : réminiscences (2)

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Un jour, Śimrod apparut en portant l'armure noire qu'elle lui avait vue dans la salle des armes, quand il entrainait Angraema. Ainsi, il semblait tout de suite plus imposant. Il vint se planter devant elle et, les bras croisés, il lui fit un long discours parfaitement incompréhensible. Puis il lui prit la main, et la tira vers la salle de commandement.

Isolda le suivit, curieuse. La baie s'illumina à son passage, et, en apercevant ce qui se profilait dessus, la jeune fille eut un mouvement de recul. Une immense créature, qui semblait plus grande encore que le vaisseau, dardait son œil elliptique sur eux. Śimrod n'avait pas l'air effrayé. Il la fit asseoir sur un grand fauteuil avec Caëlurín dans les bras, et disparut dans le sas.

La jeune fille aperçut bientôt sa silhouette aux angles acérés, mais néanmoins minuscule, courir le long du dos du monstre, brandissant une espèce de hallebarde qui faisait deux fois sa taille. Stupéfaite, Isolda se leva, allant se poster devant la baie. Un énorme tentacule, munie de ventouses qui vinrent se coller juste devant son visage et secouèrent tout le vaisseau, la fit reculer. Elle entendit une grosse voix abyssale résonner en ældarin : Dieu qui s'adressait à elle, peut-être ?

La lumière féerique, si peu humaine, qui baignait tout le vaisseau s'éteignit. Elle se retrouva plongée dans le noir, et Caëlurín s'agita.

— N'aie pas peur, lui murmura-t-elle en lui caressant le dos. Ce n'est rien.

Isolda elle-même y croyait de moins en moins. Elle ne voyait plus Śimrod, mais elle savait que la bataille faisait rage, dehors. Le vaisseau était secoué dans tous les sens, et sur la baie, au profit d'éclairs foudroyants, elle apercevait tour à tour les tentacules, une partie du corps bulbeux ou l'œil énorme et gélatineux de la créature, qui la fixait d'une malveillante intelligence, venue du fond des âges.

Isolda frissonna. La créature avait disparu de sa vue et le vaisseau avait retrouvé sa stabilité. Tout était calme, et elle sursauta en entendant le sas s'ouvrir.

C'était Śimrod. Ses longs cheveux argentés étaient emmêlés, ses tresses accrochées çà et là sur les angles acérés de son armure, elle-même maculée d'une substance noire et glaireuse. Le manteau à capuche moirée et la pièce de tissu qu'il portait entre ses jambes étaient déchirés. Mais il avait l'air d'aller bien, et, s'arrêtant devant Isolda, il lui tendit une petite bille grise maculée de sang.

Isolda regarda l'objet, les sourcils froncés.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle, méfiante.

Mado, répondit-il avec autorité, avant de prendre la bille et de la porter à sa bouche, faisant mine de l'avaler.

Et de nouveau, il la lui tendit.

Isolda hésita, mais Śimrod avait l'air sûr de lui.

La jeune fille mangea alors ce qu'il lui tendait. Elle l'avala tout rond, sans croquer. Un léger et désagréable goût de sang courut sur sa langue, mais ce fut fugitif. Elle eut l'impression que sa tête tournait légèrement : relevant les yeux sur Śimrod, elle s'aperçut qu'il souriait.

— Alors ? lui dit-il. Tu comprends enfin ce que je dis ?

Isolda en ouvrit la bouche de stupeur. Śimrod parlait sa langue !

— Vous parlez une langue humaine ? Depuis quand ?

— Non. C'est toi qui parles l'ældarin, désormais. C'est l'une des propriétés de la perle d'illythid. C'est rare d'en croiser : cela fait des quarts de lunes que j'étais sur la piste de celui-là. Depuis ton arrivée sur mon bord, en fait.

Un large sourire s'affichait sur ses lèvres.

— Je me nomme Śimrod Surinthiel, dit-il en s'asseyant d'un air triomphal sur un fauteuil en face d'elle. Ce cair, le Melaryon, est le mien.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant