Cair amiral Mercor, orbite de Yuggoth
— Ça venait des appartements amiraux, dit Unila. La salle des tortures du seigneur Uriel ! C'est là qu'ils sont.
Je la suis jusqu'à la porte.
Une scène de carnage. Des corps empalés sur le mur, une très jolie tête posée sur une table, le bourreau de mon cousin mort, et mon cousin lui-même... affalé contre une colonne, une main sur sa poitrine dégoulinante de sang noir. Pire encore, j'aperçois la chaîne qui retenait son cristal, arrachée. Sans la pierre, qui elle, a disparu.
Mauvais, ça.
Je m'agenouille à côté de lui.
Il entre-ouvre les yeux, les pupilles complètement dilatées.
— Tamyan... murmure-t-il. Le fils de mon cousin.
Sa voix autrefois puissante n'est plus qu'un mince filet quasi-inaudible. Je me tourne vers Unila, debout derrière moi :
— Va me chercher l'alchimiste Methil. Vite ! Et Rizhen, si tu le croises. Allez !
Unila sort de sa torpeur et file dans le couloir.
La main encore ferme d'Uriel attrape mon poignet.
— Ennil... c'est son cristal qui a tout pris. Il n'en a plus.
— Lathelennil ? Vous aviez échangé vos pierres ?
Et ce con qui est parti je ne sais où...
Uriel est livide. Vu tout le sang qu'il a perdu, avec son cœur ouvert en deux... à travers ses doigts blêmes je l'aperçois, plat, presque vide.
Uriel. S'il meure ici aujourd'hui... Lathelennil passe numéro 1. Aeluin n°2... Asdruvaal, 3... et moi, 4. Mon fils passera 5ème. Je pourrais même me débarrasser de Lathelennil facilement, maintenant qu'il n'a plus sa sauvegarde... et détruire la pierre d'Uriel par la même occasion. Aeluin sera 1. Asdruvaal, 2. Moi... 3.
C'est là que je réalise qu'Uriel s'attend à ce que je l'achève. C'est ce que n'importe quel mâle ambitieux aurait fait, en voyant un autre, qui jusqu'ici le gênait dans sa course au pouvoir, affaibli à ce point. C'est ce que Nazhrac a fait avec moi. La loi du Peuple, depuis l'aube des temps. Un ard-æl est toujours détrôné par un plus fort que lui. Et un ard-æl faible est un ard-æl mort.
— Vas-y, grogne Uriel, résigné, un ersatz de sourire aux lèvres.
Je dégaine ma dague. La lame renforcée au mithrine lance un éclat qui coupe les ténèbres, éclairant brièvement le visage supplicié d'Uriel.
Je n'ai plus le choix. Je me débarrasse de mon gantelet et m'ouvre le poignet, avant de presser la veine pulsante sur les lèvres bleuies d'Uriel.
— Bois. Vite.
Mais ses lèvres ne remuent pas. Il ne suce pas. Le sang coule dans sa bouche, toutefois. Je me sens un peu honteux d'avoir un rapport aussi intime avec mon oncle ou grand cousin, mais c'est le seul moyen de le sauver.
Finalement, il finit par poser sa main sur mon avant-bras, et se met à aspirer.
— C'est bien, l'encouragé-je. Continue.
Mais je commence à me sentir un peu brumeux. Du reste, Uriel finit par me lâcher de lui-même. Sa tête retombe en arrière, sur mon genou. Je lui fais un petit coussin avec mon shynawil.
— Tamyan... grogne-t-il. Tu as toujours été le plus loyal d'entre nous, finalement.
— Ne dis pas ça, Oncle. Je t'aurais tué si tu n'avais pas toujours été mon allié. Methil arrive. Il te soignera.
— Je le pense vraiment. J'ai toujours essayé de te protéger, c'est vrai. Mais mon frère te hait. C'est comme ça. Si tu avais été moins beau... ce serait passé. Mais tu ressembles trop à ton père. Et trop à lui.
— C'est du passé, tout ça. Ne parle pas trop. Ce que je t'ai donné ne te permettra que de te tenir le temps qu'il suture ton cœur. Il faut que tu te nourrisses. De quelque chose de plus conséquent... Où sont tes aslith ? Ceux qui te donnent leur sang.
— Tithiniel. Qu'on aille me chercher Tithiniel. Son sang me requinquera. Il doit être fort et riche.
Rika Srsen. Pas de chance pour lui, elle est déjà loin.
— Elle n'est pas disponible. (J'interpelle un sluagh apeuré qui passe la tête par la porte.) Toi, là ! Va me chercher trois aslith en bonne santé.
Trois fynasyn arrivent en même temps qu'Unila, Rizhen et Methil. Umü, le fynasí en chef qui a été le favori d'Uriel pendant longtemps, s'allonge sur les genoux de son maître, tout éploré.
— Seigneur, gémit-il en dégainant sa propre dague, autorisez-moi à mourir pour vous. L'humble sacrifice de mon existence insignifiante vous remettra sur pied.
— Non. Je te veux encore à mon service. Donne-moi ta gorge.
— Vous êtes si généreux, Seigneur. Merci.
Umü défait son collier, et présente sa gorge à Uriel, qui le mord sans ménagement. Alors que le jeune humain s'abandonne dans les bras de son maître, en plein extase servile, Methil est en train de le suturer.
— Ça ne suffira pas, dis-je à Unila. Amenez d'autres humains.
Mais Uriel repousse Umü avec un grognement. Il ne veut pas le tuer. Un sluagh réceptionne le serviteur au bord de l'évanouissement, alors que les deux autres s'avancent docilement, cou dénudé.
— Tanit... c'était une prêtresse de Shemehaz, gronde Uriel entre deux coups de dent, un peu requinqué. La deuxième forme d'Arawn... Il faut que tu l'arrête. Je sais où elle va... La plus grosse concentration d'ædhil, la Cour de Mebd. C'est là où se trouve l'Aonaran.
— L'Aonaran ?
— Ar-waën Elaig Silivren. Il est là-bas, et Shemehaz le veut. Elle a pris possession du corps d'un jeune mâle à la robe rouge, le prince Círdan de Tará. Tue-le. Nous, elle ne peut pas nous posséder.
— Bien.
— Je te nomme commandant suprême de nos armées. Prends l'ost de Dorśa, et détruit cette menace pour notre peuple. Même si c'est au prix du Mebd.
— Quoi ?
Rizhen et Unila, en même temps. J'ignore leurs protestations et m'incline.
— J'accepte cette charge, Oncle.
— J'espère bien, grince Uriel. Umü, défais mon plastron de commandement. Et passe-le au cou de Tamyan.
Délicatement, Umü décroche le lourd collier d'iridium et d'argent, orné des neuf croissants de Dorśa sur fond de brume, du poitrail d'Uriel. Lorsqu'il se tend vers moi, le collier à bout de bras, je baisse la tête pour le recevoir. Rizhen se précipite.
— Je m'en occupe, dit-il en se positionnant dans mon dos.
Je mets la main sur la poignée de ma dague, au cas où. Je fais confiance à Rizhen, mais c'est le moment idéal pour un putsch. Uriel par terre, moi agenouillé, la nuque découverte...
Mais le plastron est noué. Rizhen replace ma queue de cheveux dessus, presque amoureusement.
— Gloire au commandant de la Première Légion, murmure Uriel du bout des lèvres. Za dashu Ar-Tamyan zambakh.
L'arghad est repris par Rizhen – dont la voix puissante résonne dans tout le hall – et Unila, ainsi que tous les sluagh et fynasyn présents.
Eh bien. On peut dire que les choses ont tourné d'une heureuse façon.
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LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)
Science-Fiction"Lle naa vanimë. Tu es mienne." Pour lui, je suis sa chose : une captive, une esclave. Qu'il traite mieux que les autres, qui a le droit à certains égards. Qu'il subjugue avec ce pouvoir d'attraction incroyable propre aux ældiens, qui fait perdre la...