Chp 15 - Tamyan : je suis né prédateur (2)

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Mon arrivée dans la cour des Massazief provoque un petit remous. La mère, Dakiya, sent ma présence immédiatement. Cette femme possède un savoir que la plupart des humains ont oublié. C'est souvent le cas, chez les fondamentalistes... en attendant, il m'est plaisant de parler avec elle. Au son de ma voix qui la salue, elle se lève aussitôt de sa chaise et appelle son fils.

— Haroun, vite, range le sel et coupe l'eau chaude. Amène les sucreries, et va acheter une bête au voisin. Le melek est là.

Ce vieux réflexe – et l'appellation qu'elle m'a donnée, qui voulait dire « maître », dans une langue aujourd'hui oubliée – amène un sourire sur mes lèvres. Du sang, du sucre, et ensuite, probablement, de la musique et des parfums. D'anciens souvenirs me reviennent, d'une époque lointaine où nous dansions volontiers avec les humains. C'était le bon temps, finalement.

Mais je n'ai pas le temps pour ça aujourd'hui.

Je l'arrête en posant ma main sur son avant-bras.

— Ce n'est pas la peine, cheikha. Je suis juste venu vous dire que je m'en vais.

— Tu t'en vas ? réponds la vieille femme en écarquillant les yeux pour mieux me voir. Pourquoi ? Est-ce qu'on t'a mal reçu, insulté ?

— Non. Ne vous inquiétez pas, quoi qu'il arrive, cela ne vous retombera pas dessus. Mais... j'ai un service à vous demander. À vous, et votre fils.

Haroun s'est rapproché.

— Faith va se retrouver toute seule : je ne peux plus la protéger pour l'instant. J'ai besoin que vous le fassiez pour moi. Haroun (Je me tourne vers lui.) : sur cette base humaine, la Nouvelle Arkonna, tu lui as dit qu'elle était la bienvenue chez toi. Est-ce que c'est toujours vrai, maintenant qu'elle a un enfant de moi ?

Il hoche la tête lentement.

— Bien sûr. Je ne retire pas mes mots, Tamyan.

— C'est ce que je pensais. Je te confie Faith, et Cyann, notre fils. Ce sera peut-être compliqué pour toi. Comme tu le sais, cet enfant n'est qu'à demi-humain.

— Faith est mon amie d'enfance, une lointaine cousine par alliance, répond Haroun. Et j'ai des choses à faire pardonner, une dette envers elle.

Comme moi, en somme.

— Parfait. Mais avant que tu acceptes vraiment, j'ai une chose à te dire. À vous dire tous les deux.

Dakiya secoue la main.

— Non non, je ne veux pas entendre. Dis-le à mon fils, ça suffira.

— Comme tu voudras, lui réponds-je, et je la laisse retourner dans la maison.

Cette femme n'est pas folle. Elle se doute bien du fardeau que je vais remettre à Haroun. Je me tourne vers lui.

— C'est moi qui ai mis à sac votre colonie, annoncé-je en le fixant dans les yeux. Avec mes chasseurs. J'ai massacré votre milice, qui nous a opposé une belle résistance, puis j'ai capturé les autres pour en faire des esclaves. Toutes les femmes jeunes et fertiles sont devenues les concubines de mes chasseurs, et les hommes, des combattants dans notre armée ou des serviteurs au palais des princes de ma famille. Ceux qui ont refusé de prêter allégeance sont morts. En martyr, si ça peut te faire plaisir de le savoir.

Haroun me regarde, l'air absent. Puis il baisse la tête.

— Merci de me l'avoir dit.

— Faith porte ce secret comme un fardeau. Elle n'ose pas te regarder en face à cause de ça. Sache qu'elle a essayé de me résister. Je l'ai presque tuée. Mais une force puissante nous attire l'un vers l'autre, et une étoile éclaire notre destinée. On ne peut pas combattre une telle influence, juste s'y soumettre. J'imagine que toi, en tant qu'humain qui craint Mannu, tu comprends cela.

— Oui. Je le comprends.

— Faith n'a plus que toi. Toi et ta mère. Je sais que c'est moi qui suis responsable de cette situation. Je l'ai isolée. Mais il fallait en passer par là, pour que le destin se réalise. Je vais reprendre son trône à mon oncle. Puis je ferais d'elle une reine : la première reine adannath de Dorśa !

La façon dont il me regarde, presque triste... il ne comprends pas tout ce que je lui dis.

— Je ferais amende honorable auprès de ton peuple : j'aime payer mes dettes, et je le dois à Faël, pour la partie de notre pacte que je n'ai pas pu honorer, en sauvant sa sœur. En attendant, je te la confie.

Haroun, qui m'a écouté en silence, ne sait pas quoi me dire. Normal : c'est un humain. Et une partie de lui doit encore aimer Faith. J'ai besoin de cette partie, pour pouvoir partir le cœur un peu moins lourd. Mais j'ai également besoin qu'il réalise que Faith est irrémédiablement perdue pour lui. Ils auront beau saigner toutes les bêtes de leur troupeau, m'offrir leurs meilleurs parfums et sucreries, chanter à s'en arracher les cordes vocales et danser à user leurs pieds jusqu'à l'os, jamais je ne renoncerai à elle. Elle m'appartient. Pour toujours. Si elle s'avisait de mourir avant moi, en dépit des libations de mon sang que je lui fais toutes les nuits, je ne permettrais même pas que son corps soit rendu aux siens. Sa famille, son peuple, c'est moi, désormais. Haroun va garder Faith sous sa protection pendant quelques temps, mais ensuite, quand je reviendrai la chercher, il ne la reverra plus jamais. Et il le sait.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant