Chp 12 - Rika : le dernier chant de Mebd (1)

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Vaisseau-monde ældien Ráith Mebd, orbite de Taranis


Lathelennil n'eut pas le loisir de fêter l'arrivée des armées de son frère. Impossible de savoir vraiment ce qui se passait, dans ce chaos : pour moi, nous étions attaqués par les Desséchés et les dorśari. Et Lathelennil, né et élevé sur les champs de bataille, accoutumé aux flots de sang et se repaissant de souffrance, réagit immédiatement.

La superbe salle principale du Ráith Mebd fut bientôt envahie par des hordes de contaminés. Les arbres noircirent et flétrirent, se recroquevillant sur eux-mêmes à mesure de la destruction des canaux les irrigants. Les splendides murs de marbre furent gagnés par un crépi noir, qui les rongeait comme des flammes. Des hurlements d'outre-tombe vrillaient nos oreilles, paralysant la plupart des ældiens encore debout. Les yeux des petits sortant littéralement de leur tête, je les fis monter rapidement dans mon sac, que je refermais sur eux. Isolda eut l'idée de boucher les oreilles de Naradryan avec un bout de tissu déchiré de son shynawil.

Autour de nous, où que nous posions les yeux, les ældiens tombaient comme des mouches, écrasés par des colonnes de plusieurs centaines de mètres de haut, soufflés dans l'espace par une brèche dans la coque, ou éventrés par des créatures-machines décomposées sorties des cauchemars les plus noirs d'un dorśari sous acides.

Voir toutes ces belles personnes dans leurs vêtements lumineux tomber les unes après les autres me paraissait déjà suffisamment horrible. Pour moi qui étais née dans une société grise et noire, le monde haut en couleur des ældiens était d'une telle magnificence que cela me paraissait le pire des crimes que de le détruire. Surtout ce vaisseau superbe peuplé de gens innocents.

Je sentis soudain qu'on me passait quelque chose autour du cou. C'était Ren, qui venait de me donner une gemme d'un bleu lumineux et transparent.

— Ne l'enlève pas, murmura-t-il. Si tu es tuée... Tes compagnons la prendront. Tu feras la même chose pour eux, lorsqu'ils tomberont.

Je hochai la tête, émue qu'il se préoccupe ainsi de moi.

— Et toi ? lui demandais-je. As-tu une nouvelle sauvegarde, Ren ?

Il me regarda.

— Je n'en ai plus besoin, me répondit-il. De toute façon, le mal est déjà fait.

— Mais si ton cristal est perdu de nouveau ? glapis-je. Je ne parle même pas de la perte de mémoire, mais de ta réincarnation. Lathelennil m'a tout expliqué sur le rôle réel de ces cristaux !

J'avais en effet compris, grâce aux explications simples et directes du dorśari, la véritable fonction de ces cristaux. Les ældiens ne les portaient pas comme un riche citoyen, un colon ou un légionnaire porte une capsule ISB-4, mais plutôt comme les fidèles des anciennes religions portaient leurs colifichets. Ils les portaient pour s'assurer qu'après leur mort, leur essence ne soit pas absorbée dans le néant pour toujours. Ces pierres étaient leur seule garantie de réincarnation.

— Je porte le masque de l'Étranger, asséna alors Ren. Pour cette raison, je n'ai pas besoin de cristal-cœur. Mais toi, et nos enfants également, vous êtes en danger. Vous ne pouvez pas rester en ma compagnie, sous peine de partager mon sombre destin. Nul ne le peut : cette Voie, je dois l'arpenter seul.

Je le regardai, effondrée. Ren était devenu Aonaran ! Tous autour de moi me regardaient avec une commisération pire que tout à l'heure. Śimrod gardait le visage baissé, gêné. Isolda affichait un visage d'une tristesse indicible. Quant à Lathelennil, il posa un genou à terre, son épée plantée devant lui.

— Désolé pour toi, et merci pour ta protection, grinça-t-il du bout des dents. J'ignorais que tu marchais sur le chemin de la damnation.

Sa piètre tentative de création de rimes amena un sourire fantomatique sur les lèvres de Ren. Nul doute que la toute jeune carrière du poète Lathelennil ne connaîtrait pas de suite.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant