Chp 7 - Rika : comploter ou mourir (2)

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Lorsqu'Uriel refit enfin son apparition, j'étais toute prête à me prosterner devant lui et à le supplier de me laisser lui servir de coussin de pieds, à la seule fin de pouvoir échapper aux délires morbides et malsains de son frère. Ayant été élevée dans une communauté de fidèles de Demosariel, je savais que c'était ainsi que les hérétiques procédaient. Ils vous maniaient la carotte et le bâton en vous montrant que votre sort pouvait toujours être bien pire que ce qu'ils avaient à vous proposer, afin que vous vous précipitiez de votre pleine volonté sous le fouet du bourreau. C'était typique, et jusqu'ici, j'avais réussi à y résister en arborant ce masque inexpressif, cette voix sans âme, ce manque de peur et de désir, ce mur lisse qui titillait et rebutait les sadiques en les empêchant d'y planter leurs griffes. Lathelennil avait réussi à fissurer ce mur. Et ce faisant, il avait également offert une prise et une brèche à son frère.

Or, Uriel avait perdu toute volonté de me punir. D'ailleurs, il ne punissait plus personne, si ce n'est lors de crises de rage qui explosaient lorsqu'un sluagh ou une eyslyn avait par trop forcé sa patience en tentant de lui faire prendre quelque nourriture ou boisson. Deux jours après l'immonde présent de Lathelennil, le chef des sluagh, un kapo presque aussi cruel que Khror, vint me tirer de mon grabat pour me mettre entre les pattes de son maître, qui venait d'égorger deux sluaghs.

— Fais-le manger, m'ordonna l'infâme gobelin. Boire, au moins. Si tu refuses, je te livrerai au seigneur Lathelennil. Crois-moi que tu regretteras alors de ne pas avoir été décapitée par maître Uriel en lui offrant à boire. Présente-lui ta propre jugulaire s'il le faut, mais ne quitte pas cette pièce sans qu'il ait pris quelque nourriture !

Le sluagh pensait que j'y resterai. Il pensait qu'Uriel finirait par être tenté si je lui tendais ma gorge, et qu'il me dévorerait du bout des dents, avant de délaisser ma carcasse pour repartir dans son délire mélancolique. Il pensait que j'irais, terrifiée par la seule idée de devenir la proie de Lathelennil, et que je m'offrirais de mon plein gré. Mais, une fois lâchée dans la pièce où se tenait Uriel, enfermée avec deux cadavres de sluaghs, qui gisaient, décapités, au sol, je décidai d'une autre stratégie.

Le sombre seigneur dorśari était affalé sur un sofa pourpre, son front d'albâtre posé sur son bras. On aurait dit un noyé accroché à sa bouée, sur ces vieilles images de naufrage que me montraient mes parents lorsque j'étais petite. N'ayant pas été mise en sa présence depuis un certain temps, je le trouvais très amaigri. Sa grande taille, ses traits fins et sa peau d'albâtre accentuaient ce côté affaibli qu'il avait. Je compris tout de suite qu'il était atteint d'un début de muil. Et non seulement ce muil allait le tuer – en poussant des concurrents aux dents qui rayaient le parquet comme son frère à profiter de sa faiblesse pour l'assassiner – mais il allait surtout rendre mon sort encore pire qu'il ne l'était déjà, et m'éloigner pour toujours de la seule chance que j'avais d'échapper à cet enfer : Mana.

Il fallait jouer gros, et tenter le tout pour le tout.

Les sluaghs avaient soigneusement – et courageusement – refermé la porte à double tour derrière moi. Ils étaient persuadés qu'Uriel était tellement affamé qu'il allait se jeter sur moi comme la misère sur le monde, me mettre en pièces et me dévorer dans une orgie de gloutonnerie et de sadisme. C'était possible, en effet. Mais s'il ne le faisait pas lui-même, Lathelennil s'en chargerait, plus lentement. Donc, autant y aller franchement.

Je marchai donc vers Uriel. Toujours avachi sur son canapé, il ne bougea pas une oreille. Tout juste releva-t-il un œil sombre sur moi, lorsqu'il sentit que je m'étais plantée devant lui.

— Qu'est-ce que tu veux ? me demanda-t-il en ældarin.

Affectant un air dégoûté, je secouai lentement la tête. Tout de suite, un petite lueur, évoquant un retour de flamme sur un feu mourant, apparut dans ses yeux abyssaux.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant