Chp 18 - Isolda : pour toi je ne peux rien, mais je sauverai tes enfants (1)

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Vaisseau Elbereth, orbite de Taranis


Isolda fut éveillée par le petit Caëlurín, qui s'appliquait méthodiquement à lui lécher le visage.

— Arrête, Caël, murmura-t-elle en le soulevant sous les bras. Tu ne dois pas faire ça, c'est sale.

Caëlurín avait faim. Il entraina sa nounou dans les couloirs froids et vides du cair, jusqu'à la salle où ils prenaient leurs repas.

— 'Ma ! 'Ma ! piaillait-il, en recherche de sa mère.

Isolda sentit son cœur traversé par une vague de pitié.

— Oui, ils sont partis la chercher. Tu vas la retrouver bientôt, ne t'en fais pas.

Un bataillon d'eyslyns, les serviteurs fées de Ren, vint voleter devant elle.

— Que doit-on vous servir ? demandèrent-ils de leur voix cristalline et pointue.

— Une bouillie d'œufs, une compote de fruits, du kafé et un biberon de lait sucré pour le petit, demanda-t-elle.

Elle s'était habituée aux eyslyns, avec leurs yeux entièrement noirs et leurs ailes translucides. Elle prit place devant la grande table, se hissant sur une chaise, évidemment trop haute pour elle, à l'instar de tous les meubles des ylfes. Caëlurín grimpa sur ses genoux, agile comme une petit singe.

Tout en lui donnant son biberon, Isolda revint sur la nuit précédente. Śimrod et Ren étaient partis par le portail, ayant vu dans la mystérieuse Cour Exilée que l'Aleanseelith avait laissé un message à l'Aonaran : « Les enfants de l'Amadán ont besoin de vous », avec des coordonnées. Śimrod était allé récupérer son cair, le Melaryon, et, avec Ren, ils avaient quitté l'Autremer pour l'espace réel, en direction du secteur de Taranis. Lorsqu'ils étaient arrivés, Isolda avait constaté avec stupeur la présence d'un immense vaisseau ældien, vers lequel fuyait toute une flotte de barges de secours, alors qu'une bataille désespérée faisait rage au sol. Ren et Śimrod avait détruits un grand nombre de bâtiments ennemis avec l'armement sur leur vaisseau, puis ils étaient descendus finir le travail. Isolda attendait qu'ils reviennent. Mais elle avait mal dormi. Un rêve étrange, qui l'avait troublé. Dont il ne lui restait rien d'autre qu'une impression de malaise persistant, et surtout, de déjà-vu.

J'ai déjà vécu cela, songea-t-elle, le petit Caël dans les bras. Je me tenais là, à regarder par la baie, alors que Śimrod était au sol, en train de combattre dans une bataille du genre de celle-là... et je tenais ses enfants dans les bras. Huit enfants, tous noirs comme la nuit, avec leurs petits panaches blancs. Mais les mains qui les tenaient... elles aussi, étaient noires.

Isolda chassa cette idée de sa tête. C'était impossible. Elle ne pouvait pas avoir vécu cela. Elle venait tout juste de rencontrer de rencontrer le semi-orc.

La jeune femme reposa Caëlurín, qui voulait jouer, et se mit à explorer le vaisseau pour passer le temps. Ce cair était une copie de l'Elbereth, que Ren avait ramené d'une poche dimensionnelle. C'était le même vaisseau, sans l'être. Partout dans l'univers, au même moment, une infinitude d'Isolda arpentait ses longs couloirs, et si quelqu'un arrivait par un portail dimensionnel, il aurait pu interagir avec elle. Isolda se demanda combien de version d'elle-même existaient ou avaient existé par le passé. Dans ce monde ou un autre... rien que d'y penser, elle avait mal à la tête. Et pourtant... le vaisseau de Ren dans lequel elle avait passé ces dernières semaines avait été détruit. Et pourtant, il était de nouveau là, à la fois identique et différent. Se pouvait-il que ce soit pareil pour elle ? Qu'elle ait déjà assisté à tout ça, vécu cette scène, mais dans une autre dimension ?

La jeune femme se frotta les tempes. Tout cela lui faisait mal à la tête, mais surtout, lui faisait une peine étrange, douloureuse. Mieux valait qu'elle aille se changer les idées.

— Tu viens Caël ? dit-elle au petit garçon qui titubait derrière sa balle. On va prendre le bain.


*


Isolda, qui s'amusait sous les jets d'eau avec Caël, fut interrompue par un grognement étouffé dans son dos. Elle se retourna, surprise, pour tomber nez à nez avec Śimrod, qui baissa aussitôt les yeux au sol.

— La bataille est finie, bougonna-t-il sans oser la regarder. Ren et moi sommes invités sur le vaisseau des filidhean. Tu peux venir... mais tu ne dois pas révéler notre identité. Ils ne savent pas ce que nous sommes. Ou font semblant de ne pas le savoir. Pour notre peuple, ces faux-semblants sont importants.

Isolda hocha la tête.

— Je comprends.

— Eren et Arda, les filles de Mana, sont à leur bord.

Isolda releva vivement son visage. Ainsi, ils avaient retrouvé deux personnes.

— Nous allons continuer à chercher les autres. La galaxie est peut-être vaste, les corps célestes sont pris dans un système d'attraction-répulsion. Maintenant qu'on a tiré ce fil de la grande trame, ce sera facile de tirer les autres. Bientôt, on retrouvera Rika, la compagne de mon fils, ses autres enfants, et aussi Angraema et ce prince Círdan de Tará.

Isolda rattrapa Caël qui venait de piquer une tête sous l'eau. Il riait, ses cheveux plaqués sur son petit crâne, faisant ressortir ses oreilles pointues.

Ça aussi, je l'ai déjà vu, songea la jeune femme.

Śimrod, au bord du bassin, s'était accroupi.

— Et toi ? Que vas-tu devenir ? demanda-t-il crûment, son fouillis de tresses argentées passées sur une épaule. Ce n'est pas ta famille. Mon fils et son clan t'ont recueilli. Mais tu as bien un endroit où retourner, chez les humains.

— Non, je n'ai pas d'endroit où aller, répondit Isolda. Ni rien ni personne. J'ai déjà cherché.

— Il y aura d'autres batailles. La Rêveuse du clan de Syandel l'a vu. Beaucoup des nôtres vont mourir. Si tu restes, tu prends le risque de faire partie des dommages collatéraux.

Isolda lâcha les prunelles écarlates de Śimrod, la moue bougonne. Elle ne voulait pas partir.

Le semi-orc la regarda longuement. Puis il se releva.

— Je te laisse réfléchir. Tu peux prendre ta décision après. On en reparlera sur le Ráith Mebd, si tu veux. Tu as déjà vu une Cour ædhel ?

Isolda secoua la tête.

— Ce qui reste de celle de la reine Mebd n'est rien comparé à ce qu'étaient les Vingt-et-un Royaumes, mais cela reste une splendeur, tu vas voir. Edegil Aithream, le fils de Mebd, est réputé pour ses pouvoirs de guérison. Il pourra peut-être t'aider à retrouver la mémoire. Et ensuite, si tu en émets le désir, je pourrais te reconduire à Solaris, au cœur du monde humain, discrètement.

— Merci, murmura Isolda du bout des lèvres.

— Pas de quoi. Tu as sauvé la vie du petit, et c'est grâce à toi si j'ai pu retrouver mon fils. Tiens, tu veux bien me prêter ta pierre ? Je voudrais la montrer à Innafay et Edegil.

Isolda la décrocha de son cou, et la lui tendit mollement. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas à bien déterminer, elle n'aimait pas s'en séparer.

— J'en prendrai bien soin, lui assura Śimrod en refermant son poing dessus. À tout à l'heure.

Isolda le regarda partir, le visage et le cœur lourds.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant