Chp 8 - Faith : chez lui, tout est une arme (3)

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Tymyr vient me chercher quelques temps plus tard. En fait, elle était là depuis le début, assise sur ses talons comme ils le font, le visage reposant dans sa grosse main et l'autre sur son énorme massue, montant la garde sous un sapin non loin. Envoyée là par Tamyan, bien sûr. Je commence à comprendre comment fonctionne un clan ældien. Une espèce de famille hautement dysfonctionnelle avec des rôles bien définis et une stricte hiérarchie, et surtout, une surveillance constante, de la part d'un membre ou l'autre. J'ai le droit de chialer ma race dans la mousse parce que l'« ard-æl » me torture, mais sous la surveillance d'un membre du clan.

Quand je me relève enfin, elle s'approche.

— Tu dois comprendre le point de vue de l'ard-æl, as-ellyn, me tance Tymyr. Il ne veut que le meilleur pour toi. Pour nous. Tu devrais l'écouter. C'est un bon meneur, sage et avisé. Et un grand tacticien, intelligent, impitoyable. Cela fait plusieurs centaines de millénaires qu'il dirige des armées. Fais lui confiance.

— Mais je ne suis pas une soldate ! Tout ce que je veux, c'est vivre en paix, protéger mon enfant et soigner les gens.

— Ce n'est pas ce qu'il m'a dit. Tu étais l'alchimiste de cette troupe humaine qu'il a vaincu avec sa précédente compagnie, non ?

— Justement, dis-je, la voix tremblante. Cette troupe humaine, comme tu dis, qu'il a anéantie, avant de tous nous emmener en esclavage.

— Et d'esclave, tu es devenue as-ellyn, concubine unique du cinquième prince de Dorśa. Ar-Amariggan zambakh ! Grande est la Fille Noire de la chance. Tu as gravi tous les échelons. Lorsque Tamyan aura pris le trône, et que ses armées victorieuses auront reconquis la Voie, tu seras reine. La femelle la plus puissante des Vingt-et-un Royaumes. On chantera à ta gloire, et ta destinée sera un modèle pour nos enfants !

C'est donc ça, le plan de Tamyan... S'emparer du trône de son oncle, et de là, conquérir l'univers.

— Il n'y a donc que la « puissance », à vos yeux ? La guerre, les combats incessants ?

— Nous sommes des chasseurs, des guerriers. Des conquérants. Tamyan est un ard-æl naturel, il a ça dans le sang. Mener son clan à la victoire, défricher de nouveaux territoires. Ce n'est pas le genre de mâle à courber la tête. Il est ambitieux ! C'est pour ça que je le suis. La gloire s'attache à ses pas : une étoile particulière brille sur lui. En marchant dans les siens, je serais auréolée de prestige !

Le prestige. La gloire. Et le sang. Il n'y a que ça, qui compte, pour eux.

Ne leur en veux pas. C'est leur culture, me dirait Haroun. Sauf qu'il n'est pas là.

Et que ce tempérament belliqueux n'est pas le seul problème.

— Tamyan est tellement exclusif... grincé-je, le regard fixé au sol. Il n'accepte pas que je sois au service des autres. Il me veut exclusivement pour lui ! Il jalouse les autres humains, Haroun...

— C'est normal. Tamyan est l'ard-æl. Les membres de son clan lui doivent fidélité et respect. À commencer par sa femelle. Qu'est-ce que c'est que ce mâle, ce Haroun ? A-t-il l'intention de venir le défier une bonne fois pour toutes ? S'il l'emporte, tu pourras partir avec lui. Mais ça m'étonnerait. Tamyan est un combattant pugnace et expérimenté : je l'ai vu dans l'arène, il connait son métier.

Mon Dieu, non.

Imaginer le pauvre Haroun devoir se battre contre Tamyan est un scénario horrifique.

— Haroun ne fera jamais une chose pareille. On ne « défie » pas les gens chez les humains... et je n'ai pas ce genre de relation avec lui.

Tymyr me regarde, la tête penchée sur le côté. Elle ne comprend pas.

— Mais tu fais dun-dun avec lui, non ? Entre nous, il a l'air d'avoir un petit skryll... et je pense que Tamyan sait mieux faire, sur ce point-là aussi.

Oui, c'est sûr. Mais ça ne fait pas tout.

Je change de stratégie. Tymyr ne voit pas où je veux en venir : il me faut utiliser le même langage qu'elle.

— Moi aussi, je pourrais être jalouse, grincé-je. Il a encore mentionné son ex dernièrement, Alyz !

Cette ældienne qu'il a tuée à cause de lui et dont il a conservé le corps comme une morbide relique...

Mais qu'est-ce que je fous ici, avec ce psychopathe ? Et je me confie à une guerrière alien barbare qui garde mon fils et nous fait la popotte.

— Dame Alyz Niśven est la femelle à qui il a offert son panache. C'était sa cousine, en plus. Et ils ont essayé de faire des petits ensemble, en vain.

Je fronce les sourcils. Cela, Tamyan ne me l'avait jamais dit.

— Des petits ? Je croyais qu'il n'en voulait pas...

— Elle, elle en voulait. Mais ça n'a pas marché. Alors, Tamyan a essayé de passer par l'intermédiaire d'une humaine. Une vie pour une vie... une vieille technique du Peuple. Mais finalement, il n'a pas voulu tuer la fille. Alyz lui a voulu à mort... et elle s'est mise à le détester, en disant que l'humaine l'avait remplacée dans son cœur.

— Et c'était vrai ?

— J'en sais rien. Je tiens cette histoire de la prêtresse Yvarna d'Urdaban, qui la tenait elle-même d'un de ses amants... j'ai pas eu les détails.

— Pourquoi l'a-t-il tuée ?

— Il ne l'a pas tuée. C'est elle, qui a échangé sa vie contre le puissant geis qui l'atteignait.

Je garde le silence. J'ai toujours cru que Tamyan avait tué cette ældienne. Mais ce n'était pas le cas.

Tymyr me tape doucement sur l'épaule.

— Allez, rentrons. Ton fils t'attend.

LA CHAIR ET LE METAL T2 (Ne m'oublie pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant