» Chapitre Soixante-Et-Un : Famille «

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   Au fond de lui, Michael n'a jamais réellement eu l'impression d'avoir une famille. 

   Bien sûr, cela peut paraître paradoxal pour qui sait qu'il a, au cours de sa relative courte existence, fait partie de deux familles différentes - les Johnson, puis les Gray-Shelby. Dans ces deux familles, Michael est entièrement conscient d'avoir toujours été entouré de personnes qui tiennent à lui, et lui-même sait qu'il n'y a que peu de choses sur Terre qu'il ne ferait pas pour Rosemary ou Polly. Pour les autres aussi, mais surtout pour ses mères.

   Et pourtant, que ce soit en tant qu'Henry Johnson ou en tant que Michael Gray, il a toujours eu l'impression d'être un peu en décalage avec le reste de la sphère familiale. Une pièce rapportée. Un ajout à quelque chose qui fonctionnait aussi parfaitement bien avant qu'il ne débarque.

   Mais ce n'est pas grave. Cela fait bien des années qu'il a accepté le fait qu'il sera toujours «le fils adoptif des Johnson, tu sais, celui qui a été adopté quand il avait sept ans» avant d'être simplement leur enfant, et que de la même façon, il sera toujours «le fils perdu puis retrouvé de Polly Gray, tu sais, celui dont elle a perdu la garde quand il avait quatre ans» avant d'être simplement son fils. 

   Mais ce n'est pas grave, il se sait déjà chanceux d'avoir tout ça. D'être tout ça.

   Et pourtant, cela fait des années que Michael a toujours voulu une famille. 

   Quand il était plus jeune, à ses débuts dans les pas de Michael Gray, il avait une image très précise en tête. Une femme (qu'il aurait rencontré au travail ou par des amis communs). Deux enfants (de préférence deux filles ou deux garçons, d'âge assez rapprochés pour qu'ils puissent partager des centres d'intérêts similaires aux mêmes périodes). Une maison avec jardin dans un quartier résidentiel d'une ville pas trop grande, pas trop petite (Birmingham, Manchester ou pourquoi pas Liverpool). Eventuellement un chien au bout de quelques années si cela plairait aux enfants (un labrador ou une autre de ces races que les familles adoptent généralement). 

   Parce que dans une telle configuration, il ne serait pas une pièce rapportée. 

   En repensant à ce projet qu'il avait, Michael ne peut s'empêcher de grincer des dents face à sa propre naïveté et remercie le ciel de n'avoir pas épousé la première femme sympathique croisée du haut de ses vingt ans.

   Parce que sinon, il n'y aurait pas eu Linn. Pas Elio, non plus.

   Car à vingt-sept ans, tout a changé. Si une voyante lui avait dit il y a quelques années qu'il n'allait pas passer sa vie avec la mère de son fils, il aurait probablement demandé si c'était parce qu'elle allait mourir jeune.

   Parce qu'il n'aurait jamais imaginé se marier en raison d'une affectivité mutuelle. Lorsqu'il s'était retrouvé fiancé à Gina un peu par hasard, il...

   Gina aurait parfaitement correspondu au plan de vie qu'il s'était dessiné à dix-huit ans. Pas d'amour - à quoi bon? -, mais ils auraient probablement fait un ménage tout a fait ordinaire, peut-être même heureux avec le temps.

   Mais après Linn...

   Il a réalisé qu'une union avec Gina aurait été beaucoup plus compliqué que ça. Parce qu'il n'aurait pas passé le restant de sa vie avec quelqu'un à qui il aurait eu envie de raconter sa journée de travail en rentrant le soir. Avec qui il se serait systématiquement projeté avec dans le futur, pas parce que les liens du mariage les y auraient contraints, mais parce que c'aurait été quelqu'un avec qui il aurait aimé construire des souvenirs. 

   Et ce sont pour toutes ces raisons que Michael ne peut s'empêcher de jeter des coups d'oeil vers Linn assise à sa droite tandis qu'il conduit jusqu'à Arrow House.

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant