» Chapitre 72 : I'd rather be biking »

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- Mon Dieu, ça ne te va pas du tout, je suis désolé.

   Assis à côté d'Isiah sur un canapé dans la boutique de mariage, Finn me regarde comme si je venais de sortir de la cabine d'essayage dans une robe à l'effigie du riz au lait. S'il y a bien une chose que Finn déteste en ce bas monde, c'est le riz au lait.

- Tu trouves? dis-je en me retournant pour m'observer dans le grand miroir. 

   Je porte une longue robe bustier blanche qui va jusqu'au sol, au jupon épais mais pas trop. Cela fait onze fois que je sors de la cabine d'essayage et onze fois que ce n'est pas la bonne. La pauvre vendeuse m'a fait essayer des robes de tous les styles possibles et imaginables - des plus courtes, des plus longues, avec manches, sans manches -, mais il y a toujours un problème. Pas avec les robes - on est dans une boutique londonienne assez chic qu'Ada a récemment découverte lorsqu'elle avait accompagnée Cath, la maintenant-épouse du fils d'Aberama Gold, pour ses essayages et ne m'en avait dit que du bien.

   Et effectivement, c'est une très belle boutique. De très belles robes. Juste...

- Je vais finir par me marier en costume comme Michael, dis-je finalement en ne plaisantant qu'à moitié. 

- Moi, je vote pour! s'exclame Isiah. Ca ferait très... brûlons le patriarcat en ne respectant pas ses dictats. Très... power couple.

   Finn n'a pas l'air convaincu.

- Mais est-ce que le fait que si Linn se mariait en costume la rendrait justement plus «power» comme tu dis ne trahit justement le fait que c'est dans le vêtement en tant que tel que reposerait le pouvoir pour une femme dans cette situation et le fait que là où justement pour un homme on considérerait son pouvoir immanent à sa propre personne, chez une femme ça ne soulignerait donc pas le fait qu'elle le serait moins puisque cela serait dépendant des vêtements, comme un... comme quelque chose à avoir en plus, en opposition au pouvoir associé de facto à l'homme?

   La vendeuse jette un coup d'oeil à notre trio et s'éclipse discrètement pour probablement aller me sélectionner une nouvelle robe. Isiah dévisage Finn en haussant un sourcil.

- Alors je suis pas sûr d'avoir tout suivi... 

- En gros, j'ai dit «brûlons le patriarcat».

- Ah, parfait. Et bien dans ce cas... (Linn se lève du canapé en se frottant les mains.) Linn, tu as entendu ce que Finn a dit : il te faut une tenue pour brûler le patriarcat. Elle est où, la vendeuse? Allez, venez, on va la trouver nous même cette robe.

   * * *

   Quarante-cinq minutes plus tard, j'ai trouvé ma robe. Plus exactement, c'est Isiah qui l'a sortie du rayonnage en marmonnant un «mon Dieu, mais qui va sérieusement mettre ça?» et ensuite je l'ai vue et j'ai...

   D'abord, j'étais assez d'accord avec Isiah, puis j'ai eu une sorte de flash me disant que oui, là comme ça elle ne paye pas de mine, mais je savais que sur moi ça rendrait bien.

   Et ça rend bien. Excessivement bien. Même Isiah a été obligé de l'avouer et je sais qu'il ne dit pas ça juste pour me faire plaisir, mais parce que c'est objectivement vrai. 

   J'ai tellement hâte de porter cette robe à côté de Michael sur les photos. 

   A midi - ou plutôt à 14 heures vu le temps que nous avons passé dans la boutique -, nous allons manger dans un restaurant non loin que nous ne connaissions pas et qui s'est avéré être une assez bonne découverte jusqu'à ce que le serveur écarquille les yeux avec une expression de dégoût lorsqu'il a vu la main d'Isiah posée sur la cuisse de Finn. Isiah et Finn n'ont pas relevé, mais cela ne m'empêchera pas de poster un commentaire hautement négatif sur la page Tripadvisor de cet endroit. En plus, le vin était tiède. Et les couteaux ne coupaient absolument pas. 

   L'après-midi, nous avons déambulé à Londres sans destination précise en tête. De fil en aiguille, on s'est retrouvés dans un quartier où il y avait plusieurs friperies et bien sûr, on y a fait un tour. 

- Linn, tu n'as aucun moyen de faire en sorte que je ne porte pas ça le jour de votre mariage, m'appelle Isiah depuis l'autre côté du portant qu'on est en train d'examiner.

   Il soulève un cintre sur lequel est suspendu un t-shirt sur lequel est écrit «I'd rather be biking» - je préférerais être en train de faire du vélo. Sans comprendre pourquoi, je me mets à rire comme s'il y avait là une blague obscure sur le cyclisme que j'aurais trouvée particulièrement marrante. La dernière fois que j'ai vu Isiah faire du vélo, c'était... jamais. 

- Je suis pas sûre de voir le rapport avec...

- Il y a pas de rapport, confirme Isiah en gardant le t-shirt en main. C'est justement ça, le truc. Comme ça, quand le petit grandira, Michael se retrouvera une fois dans une situation où il devra expliquer à Elio pourquoi son tonton Isiah portait un t-shirt «I'd rather be biking» à son mariage et que Michael n'aura rien d'autre à dire qu'il n'y a absolument aucune raison que tonton Isiah porte un t-shirt «I'd rather be biking» ce jour-là, mais qu'il n'y avait non plus aucune raison que tonton Isiah ne porte pas de t-shirt «I'd rather be biking» pour l'occasion. 

   Je souris et reste à le fixer pendant quelques instants après qu'il ait reporté son attention sur le reste des vêtements. Qu'est-ce que je suis contente qu'il est comme il est. Qu'est-ce que je suis contente que Finn est comme il est, aussi - actuellement, il est à l'autre bout de la boutique en train d'essayer une paire de vieilles Dr. Martens après qu'Isiah lui ait fait la remarque que c'est un scandale qu'en tant que Peaky Blinder, Finn n'ait jamais porté ce genre de chaussures. Finn a d'abord marmonné quelques protestations, mais dès qu'Isiah a eu le dos tourné, Finn s'est directement dirigé vers le rayon chaussures. 

   Cela fait plus de trois ans qu'ils sont mariés et pourtant, à les voir se chamailler pour de faux à la moindre occasion... - car c'est là la façon dont ils témoignent mutuellement leur affection mutuelle, et honnêtement je ne crois jamais avoir vu quelque chose d'aussi pur.

   J'ai hâte de pouvoir moi aussi dire un jour que ça fait trois ans que je suis mariée à Michael.

   Mon Dieu, si Michael m'entendait être aussi niaise, je suis sûre qu'il annulerait le...

   Non, il ne le ferait pas. Parce qu'il m'aime trop pour ça.

   J'essaye de reporter mon attention sur le portant de vêtements devant moi, mais j'ai beaucoup trop la tête ailleurs pour ça. J'ai tellement hâte. Tellement hâte.

   * * *

- Je vous rejoins après, dis-je à mes compagnons de voyage, je vais juste aux toilettes avant.

   Après avoir dévalisé la friperie - nuance, après qu'Isiah ait dévalisé la friperie et que Finn ait acheté sa toute première paire de Dr. Martens, on est retournés au parking sous-terrain où ma voiture nous a sagement attendue toute la journée. Mais avant de reprendre la route, je me dirige vers les toilettes du parking et dépense 0,80£ pour que le petit tourniquet à l'entrée me laisse passer. D'accord, entretenir des sanitaires, ça coûte, mais vu le prix exorbitant que coûte déjà le parking de base - 1,20£ de l'heure, je partais naïvement du principe que...

- Linn.

   J'entends mon prénom au moment même où je m'apprêtais à pousser la porte menant aux toilettes des femmes.

   Non. 

   Ce n'est pas possible.

   J'entends Harrison prononcer mon prénom au moment même où je m'apprêtais à pousser la porte menant aux toilettes des femmes.

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant