» Chapitre 19 : Moseley «

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   Le temps passe si vite en ce moment que j'ai l'impression d'être dans un film en accéléré. Le deuxième orphelinat de Birmingham, géré par le prêtre Hughes, a ouvert lundi dernière, après presque trois mois de planifications et travaux intensifs. Il y a eu du retard au niveau des livraisons des meubles, les commandes pour la peinture des murs sont arrivées cinq jours après la date de prévue... 

   Mais maintenant, tout est bon. Les premiers enfants ont rejoint leurs chambres respectives et pour l'instant, tout se passe comme sur les roulettes. Hâte de me faire réveiller à 3 heures du matin par un appel du prêtre Hughes m'informant que des gamins auront ramené en cachette des grenouilles de la rivière d'en bas et qu'il faut au plus vite que quelqu'un vienne faire quelque chose.

   Cela ne m'a pas dérangé d'être occupée à ce point les trois derniers mois. Au contraire, cela ne m'a pas beaucoup laissé l'occasion de penser à... la vie, de manière générale. A Harrison, qui est de plus en plus infect chaque jour qui passe sans que je ne comprenne trop pourquoi. Au fait que Michael va avoir un enfant en avril prochain - et on est déjà fin février, bon sang. La future famille Gray est retournée à New York il y a un moment déjà et ça me fait mal au cœur de voir Polly ces jours-ci. D'un côté, ça se voit qu'elle est ravie à l'idée de grand-mère, mais de l'autre, les circonstances la peinent et c'est on ne peut plus compréhensible.

   Une fois, quand on était à Central Park - c'était tard le soir et j'avais peur que les gardiens ne ferment les grilles et qu'on se retrouve enfermés dedans, on avait parlé de tout et de rien et il m'avait dit que s'il avait des enfants un jour, il choisirait des prénoms qui n'ont rien à voir avec la famille Shelby. Adieu, les Thomas, Arthur et John qui s'enchaînent de génération en génération.

   Je me demande s'il est toujours encore de cet avis. Juste par curiosité. Bah, on verra bien.

   Tandis que j'ouvre la porte d'Arrow House, j'essaye de ne pas penser à ça et de plutôt me focaliser sur mon programme de la journée. J'ai une réunion avec Polly et Ada cet après-midi pour faire le bilan des comptes du mois de février. Les caisses sont un peu plus remplies qu'avant, donc ça ne devrait pas durer trop longtemps. Et ce soir, je vais passer au pub d'Harrison, The Marquis of Lorne, pour lui faire la surprise. Ça fait une demi-année qu'il est propriétaire et il faut bien que...

- Linn, viens voir, j'entends Tommy m'appeler depuis le salon.

   J'accroche ma veste dans l'entrée puis m'exécute. Tommy est assis à son bureau et un homme que je crois avoir déjà vu quelque part est installé sur un des deux fauteuils devant lui.

- Monsieur Moseley, continue-t-il, laissez-moi vous présenter Linn Pritchard, qui s'occupe principalement des actions caritatives dans lesquelles Shelby Company Limited est impliquée. 

   Ledit monsieur Moseley se lève et me serre la main. Il doit avoir la trentaine, mais je n'arrive toujours pas à me souvenir d'où j'ai bien pu l'aperçevoir.

- Oswald Moseley, se présente-t-il. Membre du parlement de Birmingham, au nom du Nouveau Parti. Vous m'avez certainement vu aux infos ces derniers jours, les journalistes ne se lassent pas de moi.

   Ah, je me souviens pourquoi il me paraît familier. Pas à cause des infos, mais parce qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau à Finnick Odair dans Hunger Games. En un peu plus vieux, à la limite.

- Absolument, oui, je réponds tout en jetant un coup d'œil à Tommy pour savoir si je dois rester ici ou si je devais juste dire bonjour à ce Moseley.

   Tommy me fait signe de m'asseoir sur la chaise vacante. 

- J'ai lu dans le journal qu'un nouvel orphelinat a ouvert l'autre jour à Birmingham, continue Oswald Moseley. Quelques mois seulement après celui de Manchester, je suis impressionné! Permettez-moi de vous féliciter pour votre bon travail. Mon parti et moi-même sommes toujours prêts à aider les enfants britanniques, surtout quand le gouvernement actuel a cette fâcheuse tendance à vouloir d'abord s'occuper des étrangers tandis que nos propres citoyens sont laissés à l'abandon.

   J'essaye de ne pas trop hausser les sourcils tout en interrogeant Tommy du regard, qui reste de marbre. Inutile de préciser que le Nouveau Parti est une organisation se rangeant du côté très-extrême-droite sur le spectre de la politique, et je suis assez surprise d'en voir le leader ici...

- La politique de la fondation Grace Shelby, dis-je finalement de la façon la plus calme possible, c'est d'aider tous ceux qui sont dans le besoin, sans discrimination quelconque, dans la mesure où... je sais pas trop, au hasard là comme ça, je dirais que c'est le minimum syndical?

- Ah, notre Linn, intervient tout à coup Tommy en feignant une quinte de toux. Le coeur sur la main, n'est-ce pas? 

   Oswald Moseley me gratifie d'un sourire... compatissant?

- La simplicité de la condition féminine, soupire-t-il. Adorable.

   Pardon? Je m'apprête à lui répondre de façon un peu moins diplomatique, mais je m'interromps lorsque je sens Tommy m'écraser le pied sous le bureau. Mais à quoi il joue? J'espère qu'il avait une bonne raison pour inviter cette ordure ici. 

- J'espère que l'on arrivera à trouver un créneau pour se mettre d'accord, continue Tommy à l'intention de son invité. 

- Oh, sans aucun doute, répond-il en se levant. Mon secrétaire vous contactera. A bientôt, monsieur Shelby. Mademoiselle Linn.

   Vas-y, appelle-moi par mon prénom tandis que tu nommes Tommy par son nom. Te gêne surtout pas.

   Il sort du salon, puis la porte d'entrée se referme et l'instant d'après, le crissement de pneus sur les graviers se fait entendre.

- C'était quoi, ça? je demande à Tommy tandis qu'il est en train de s'allumer une cigarette.

- Oswald Moseley, répond-il comme si ça expliquait tout.

- D'accord. Et est-ce qu'on est obligé d'avoir ce Oswald Moseley là, ici? Je ne suis pas très branchée politique mais de ce que j'avais compris, le parti dont tu es membre, c'est pas un peu plus branché... euh, droits de l'homme et de la femme? Antiracisme, égalité, ce genre de choses?

   Il expire une bouffée de fumée.

- C'était le cas, oui.

- C'était? C'est censé dire quoi, ça? 

- Je vais rejoindre le Nouveau Parti.

   Je manque de m'étouffer avec ma salive. Le Nouveau Parti, lui? Pour quoi faire? Ça sort d'où cette idée, maintenant? 

- D'accord. Euh... Pourquoi?

- Le bien commun, Linn. Le bien commun.

- D'accord. (Je garde le silence pendant quelques instants, mais il n'ajoute rien.) Bon, tu verras tout ça avec ta femme et avec Polly. Elles sont au courant? Je suppose que non, tu ne serais pas en vie sinon. Par contre... je peux juste savoir à quoi ça servait à quoi que je m'incruste dans votre réunion comme ça? Je croyais que j'allais devoir lui parler de nos futurs projets caritatifs, mais je pense pas trop qu'il...

- Oswald Moseley a une belle-sœur qui te ressemble un peu, m'interrompt-il. Il baise sa belle-sœur.

   C'est bon, je m'étouffe définitivement. 

- Euh...

- C'était juste comme ça, s'empresse-t-il d'ajouter. Je suis pas en train de suggérer que...

- Ah bah super. Ecoute, je vais y aller, je crois. Préviens-moi quand tu vas parler de Moseley à Lizzie par contre, comme ça je prépare le popcorn.

   Il soupire, mais n'ajoute rien tandis que je sors du salon à mon tour. Non mais dans quel monde vit-on?

* * *

Comme ça faisait longtemps qu'on n'avait plus eu de chapitre extra du jeudi, le prochain chapitre sortira après-demain (et ensuite samedi puis mardi etc vous connaissez la chanson!)

De plus, je m'excuse pour les longueurs un peu inégales de certains chapitres ces temps-ci (certains assez courts puis d'autres faisant presque le double), j'essaye d'égaliser un peu les tailles mais au final je me laisse la liberté de ne pas chercher à allonger les plus courts ou raccourcir les plus longs afin d'éviter de perdre en "qualité".

Dans tous les cas, merci à vous d'être là et à jeudi!


[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant