» Chapitre Quarante-Sept : Cas A, Situation 1 «

920 69 9
                                    

Ils ne sont pas restés beaucoup plus longtemps à la piscine. Par chance, il y avait des peignoirs frais rangés près de la piscine et Michael n'a pas eu à défiler dans le hall de l'hôtel en vêtements trempés. Pieds nus et en peignoir par contre, oui.

Au moins, Linn a eu l'air de trouver la situation divertissante. Surtout lorsque les portes de l'ascenseur se sont ouvertes sur un petit attroupement de femmes d'un certain âge, habillées sur leur 31, qui ne demandaient probablement rien de plus que de rejoindre le restaurant en toute tranquillité et qui ne s'attendaient visiblement pas à être dans un établissement où l'on se ballade en peignoir-claquettes. Ou peignoir sans claquettes, plutôt.

Une fois de retour dans leur chambre, ils se sont douchés - séparément - et Michael a passé un peu plus de temps que nécessaire sous l'eau, le temps de remettre de l'ordre dans ses pensées.

Concernant sa relation avec Linn, Michael avait envisagé deux cas de figures : cas A, ils restent simples collègues comme ces quatre dernières années ; cas B, avec le temps, ils deviennent amis à nouveau. Si le cas B se concrétise, cela amène soit au cas C, où ils restent amis, soit au cas D, où cela évolue vers plus. Bien sûr, sa préférence allait pour le cas D, mais le cas C lui aurait aussi convenu - ciel, même le cas A, tant qu'elle ne le déteste pas.

Cas A, B, C, D.

Et maintenant, il a l'impression d'être à un cas de figure qui ne peut même pas être représenté schématiquement par une des 26 lettres de l'alphabet.

Le système de Linn est peut-être mieux que le sien, finalement. Il a remarqué qu'elle dit généralement «situation 1, on fait ça, sinon situation 2, comme ça» tandis qu'il a toujours privilégié les lettres pour visualiser.

Il a envie qu'ils aient un débat sur ce sujet. «Est-il plus logique de classer des hypothétiques selon un système numérique ou alphabétique?». Il doute que Linn ait un avis sur le sujet, mais il sait aussi qu'il ne lui faut que cinq secondes pour qu'elle se retrouve à défendre corps et âme que «situation 1, situation 2» est objectivement plus fonctionnel que son système à lui. Au final, ils arriveraient à la conclusion que les deux systèmes se valent et les jours suivants, Linn se pencherait parfois vers lui pour lui murmurer un «le chauffeur de taxi est du genre à utiliser «cas A, cas B», ça se voit» dans des situations sociales dans lesquelles il n'y a vraiment aucune raison de penser que le chauffeur de taxi raisonne en A et B si ce n'est que Linn en mettrait sa main à couper.

Il éteint l'eau de la douche et va enfiler un peignoir. Comme ils n'avaient pas prévus ce petit crochet à l'hôtel, ils n'ont pas de vêtements pour dormir et c'est mieux que rien.

Et honnêtement, il ne va pas s'en plaindre. Il y a pire vision sur Terre que de voir Linn assise en tailleurs en peignoir contre le bord du lit, en train d'écrire quelque chose sur son portable. Ses cheveux sont entremêlés dans un chignon haut qui a dû se casser la figure.

Lorsqu'elle le voit arriver, elle lève la tête et un sourire se dessine sur ses lèvres.

Michael ne croit pas à l'enfer ou au paradis. Mais à cet instant, il sait que l'enfer, cela doit être une pièce où Linn sourit de cette manière jusqu'à ce qu'elle se retourne, qu'elle le voit lui et qu'elle arrête de sourire.

Le paradis correspondant dans cette conception-là à la version inversée du scénario.

Aucun d'eux ne prononce le moindre moment pendant une bonne minute. Car qu'il y aurait-il à dire d'important, à cet instant, que «Si j'avais eu la bague sur moi, je t'aurais demandé en mariage là, maintenant»? Sachant qu'il n'est même pas sûr que Linn ne regrette pas ce qui s'est passé à la piscine.

Oui, c'est cela. Elle est en train de se mordiller l'intérieur de la joue d'une façon dont il est quasiment sûre qu'elle pense imperceptible.

«Michael, c'était une erreur. Tu es bien beau, mais je suis passée à autre chose.»

- On est quoi, maintenant? demande-t-elle d'une voix un peu aigue à la place.

- On peut être absolument tout ce que tu veux qu'on soit, répond-il sans réfléchir en restant debout sur le seuil de la porte.

Cette réponse arrache un autre sourire à Linn et il la regarde hausser un peu un sourcil. Puis, il voit son expression se renfermer petit à petit. Elle attrape une extrémité de la ceinture du peignoir et joue avec avec ses doigts.

- Je ne suis pas sûre d'arriver à faire comme avant, dit-elle finalement en levant la tête pour le regarder. Je sais que tu m'as dit que... que tu ne m'avais pas laissée tomber pour Gina - ce qui est un bon point, vraiment - (Elle marque une pause et ses traits se détendent un peu.), mais... enfin tu vois, c'est un peu compliqué. Et... beaucoup de choses arrivent en quatre ans.

- Je suis désolé de t'avoir fait vivre tout ça. Et je m'excuse aussi si tu as eu l'impression que j'ai forcé les choses aujourd'hui ou...

- Non, l'interrompt-elle doucement, vraiment pas. Je... j'ai eu le temps de réfléchir à tout ça depuis la dernière fois qu'on s'est parlés, et... j'aurais fait la même chose. Si ta vie avait été en danger à cause de moi, j'aurais fait pareil : ciao, adios Michael, finalement je me suis trouvé un autre gars... Bon, je sais pas où exactement j'en aurais trouvé un, mais j'aurais trouvé. Parce que... tu te serais plus facilement remis d'un cœur brisé que d'une balle dans le cœur. Et moi aussi, du coup. Est-ce que je dois te remercier pour m'avoir potentiellement sauvé la vie? (Elle plisse un peu les yeux en réfléchissant à la question.) Peut-être. Probablement.

- Tu ne dois rien du tout, Linn.

- Si. Parce que quand j'ai essayé de me mettre à la place dans cette histoire, je me suis rendue compte que... Je crois que j'aurais beaucoup moins bien vécu le fait d'être la personne qui brise le cœur que celle qui l'a brisé. Surtout le tien, Michael - peu importe que ce soit pour une bonne cause, rien que le fait d'imaginer que...

Elle laisse sa phrase en suspens après que sa voix soit montée dans les aigus. Elle va pleurer.

- C'est bon, Linn, dit-il calmement en devant se faire violence pour ne pas aller la prendre dans ses bras.

Il ne sait pas si c'est trop tôt ou pas pour ce genre de gestes et la dernière chose qu'il souhaite, c'est la perturber encore plus.

- Et ensuite, reprend-elle avec les yeux humides, pendant quatre ans, tu... Je n'arrive même pas à m'imaginer ce que ça aurait été si les rôles auraient été inversés. Je crois que j'aurais pris le premier avion pour l'Amérique du Sud, parce que je n'arrive pas à m'imaginer ce que ça aurait été d'être dans la même pièce que toi pour le travail et d'être à côté de toi à devoir faire comme si tout aurait été normal alors que tu m'aurais probablement détestée. Mon Dieu, quand je pense à quel point j'ai dû être chiante parfois alors que...

- Non, Linn, l'interrompt-il en venant s'asseoir au bord du lit. Tu as réagi de la façon la plus normale qu'il soit, ne commence pas à culpabiliser pour ça.

Il hésite un instant, puis vient caresser le haut de sa joue du bout du pouce. Elle pose une main sur la sienne, puis se penche en avant et, dans une hésitation similaire à la sienne, vient finalement passer ses bras autour de son cou.

Michael ferme les yeux et lui rend son étreinte.

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant