» Chapitre Cinquante-Sept : Yorkshire «

842 67 4
                                    

   Il ne s'attendait pas à voir Linn le trouver ici...

   ... mais il ne s'attendait pas non plus à ce qu'elle ne le trouve pas.

   Lorsqu'il la voit arriver au loin, il regrette de ne pas avoir répondu à ses appels, de ne pas lui avoir donné signe de vie.

   De toute évidence, elle a deviné qu'il était allé au commissariat aujourd'hui. Pour le voir lui. Le tuer.

   Après être sorti du commissariat, il ne savait pas où aller. Il n'avait envie d'aller nulle part - il n'avait pas envie d'exister. Il avait envie de fermer les yeux et de prétendre que le monde entier n'est qu'une illusion créée par son cerveau. De faire comme si toute sa vie n'avait jamais existée. De ne se souvenir de plus rien du tout.

   Mais ça aurait impliqué le fait d'oublier Linn. D'oublier Elio.

   Sans trop réfléchir, il s'est retrouvé à marcher du commissariat jusqu'à Arrow House, longeant la route départementale puis en empruntant des sentiers sinueux à travers la forêt dont il ne se souvenait même plus de l'existence. Ses jambes s'en souvenaient, néanmoins, et par une suite de raccourcis qu'il serait impossible de décrire à posteriori, il est arrivé à Arrow House du côté des écuries.

   De là, il a marché jusqu'aux prés. Comme Linn n'était pas passée ce week-end, il savait que Curly ou May avaient dû placer Monaghan Boy au pré. Le pré sur lequel se trouve Monaghan Boy est celui le plus loin d'Arrow House, pour la simple et bonne raison que c'est le seul pré qui dispose d'une clôture en bois attachée à la clôture électrique et qu'il faut l'association de ces deux matériaux pour empêcher ce petit cheval noir de prendre la poudre d'escampette.

   Tandis que Linn marche à travers la gadoue pour le rejoindre, il sort un bout de pain dur de sa poche pour le donner à Monaghan Boy. Ca lui donne un prétexte pour ne pas avoir à la regarder. Il ne veut pas lire de la pitié dans ses yeux. Il ne peut pas lire de la pitié dans ses yeux. Il a passé beaucoup trop d'années à perfectionner l'art d'être neutre pour craquer maintenant.

   Il ne peut pas faire ça au petit Michael. Il ne peut pas faire ça à Henry.

   Et pourtant, il sait que c'est le risque qu'il a encouru chaque jour depuis qu'il est tombé amoureux d'elle. Qu'elle gratte un peu trop près de la surface et qu'elle se rende compte qu'il est... faux. Qu'il n'est rien de plus qu'un assemblage de... pièces de porcelaines de vases différents, recollées de façon artisanale les unes avec les autres et dont il prétend que le résultat s'appelle Michael Gray, comptable en chef de Shelby Company Limited, un homme tout à fait ordinaire - pour un Peaky Blinder, en tout cas.

   « Tout le monde a des cicatrices, Michael. » Isiah lui avait dit ça lors d'une conversation que l'alcool avait fait tourner à une discussion très sérieuse sur le sens de la vie - ou en tout cas, jusqu'à ce que le sujet passe des cicatrices laissées par la vie à des cicatrices physiques quand Isiah a commencé à se tordre en deux pour lui montrer une cicatrice qu'il a sur l'arrière du coude.

   Linn se baisse pour le rejoindre à l'intérieur de l'enclos et ferme les yeux lorsqu'elle se faufile entre les rondins de la clôture, craignant de se prendre un coup de jus comme d'habitude. Au moment où elle s'arrête à quelques mètres de lui, les mains dans les poches de sa veste, la même pensée lui vient qu'à l'époque avec Isiah - «où est la limite entre avoir des cicatrices et être une cicatrice?», mais une fois de plus, il garde cette réflexion pour lui. 

- Michael te donne à manger? entend-il tout à coup Linn dire au cheval. Oui? Il est gentil, alors.

   Monaghan Boy penche pendant un moment le cou vers Linn, l'air de se demander si cet humain est susceptible ou non de le nourrir à son tour, puis reporte son attention sur Michael, qui le gratifie d'une petite caresse près des naseaux. 

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant