» Chapitre 77 : Sous l'emprise du désir «

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   Je m'étais mentalement préparée à avoir d'un seul coup vingt-deux paires d'yeux me dévisageant de la tête à la tête aux pieds au moment où j'allais entrer dans la salle.

   Je m'y étais préparée parce que me connaissant, je me voyais déjà devenir rouge comme une tomate en marchant le long de l'allée centrale. Parce que... parce que ce n'est pas tous les jours que l'on se marie, pas tous les jours qu'on porte une robe blanche qui ne gratte pas pour s'apprêter à dire «oui» à quelqu'un à qui on aurait dû dire ça il y a beaucoup trop longtemps déjà. 

   Et pourtant, quand j'entre dans la salle, personne ne regarde dans ma direction.

   Personne à part Michael.

   Mon Michael.

   Pendant de longues secondes qui auraient aussi bien pu se condenser en une minute comme en une demi-éternité, il n'y a rien d'autre que Michael. Michael, dans un beau costume gris foncé presque noir qui ressemble beaucoup à ceux qu'il porte habituellement, mais dont les boutons de manchette, trois petits machins argentés, ne me paraissent pas familiers et dont je déduis donc qu'il s'agit d'un nouveau. A moins qu'il n'ait uniquement changé les boutons de manchette, mais...

   Non, c'est un nouveau costume. La coupe du tissus au niveau du torse est un peu différente et s'il y a bien quelque chose que j'ai fait assez souvent dans ma vie, c'est voir tous les différents costumes de Michael d'assez près pour pouvoir les reconnaître à trente mètres de là.

   Il est là, dans son nouveau costume. Et moi je suis là, dans ma nouvelle robe.

   Tout à coup, je repense à l'héroïne de «Sous l'emprise du désir», livre de romance très gnan gnan que j'avais lu en diagonale chez Ada une fois lorsque je gardais Karl. Et de je ne sais quel tréfond de ma mémoire me vient à l'esprit une scène très précise, extrêmement précise, tellement précise que dans d'autres circonstances, je...

  Kate, la protagoniste de ce chef d'oeuvre de la littérature sentimentale, venait de retrouver son dulciné, Roy, après que celui-ci soit revenu de... son service militaire, quelque chose dans ce style? Je ne sais plus exactement, mais le fait est que Kate revoyait pour la première fois son Roy depuis plusieurs mois. Et au moment de leurs retrouvailles, la narration disait quelque chose de l'ordre de : «Roy contemplait la tenue de Kate comme s'il n'avait qu'une envie : l'en débarrasser».

   Je me souviens n'avoir pas pu résister à pouffer de rire face à ce passage parce que Karl m'avait alors demandé s'il y avait une blague dans mon livre et que je lui avais répondu que oui, il y avait effectivement une blague dans mon livre. Parce que bon, c'est une bien belle façon de décrire les choses - «il contemplait la tenue de Kate comme s'il n'avait qu'une envie : l'en débarrasser», pourquoi pas, mais ça me semblait être dit un peu bizarrement et franchement, je...

   Et pourtant, à cet instant où je me tiens à une trentaine de mètres de Michael le jour de notre mariage, je crois que je vois exactement ce que cette phrase voulait dire. Avec son sourire en coin que je vois de là, il... il n'a l'air d'en avoir strictement rien à cirer de faire transparaître une émotion devant tout le clan Shelby, ce qui pour le coup, n'est vraiment pas très Michael. 

   Et pourtant, ce détail ne le fait qu'être Michael encore plus. Mon Michael, qui...

- Seigneur Jésus, s'exclame tout à coup Polly, qu'est-ce que tu fais là, Linn? 

   Son expression mi-choquée, mi-scandalisée me fait aussi penser à quelque chose : à la façon dont les douze premières fées dans le conte La Belle au Bois Dormant ont dû réagir lorsque la treizième, non invitée, a débarqué au baptème de la petite Aurore ou pour je ne sais plus quoi toutes les fées du royaume avaient été invitées. Je crois que c'était pour que chacune donne un don à bébé Aurore, mais je ne...

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant