» Chapitre Vingt-Cinq : 3,125 «

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- Félicitations, commence Arthur sur un ton hésitant, de ma part et... euh, comment Tommy l'avait dit? Ah oui, félicitations au nom de Shelby Company Limited.

   Le bureau de Michael à New York est plus grand que son ancien à Birmingham, mais la pièce lui paraît aujourd'hui beaucoup plus exiguë que d'habitude. 

   Michael se tient près d'une fenêtre et regarde le trafic matinal défilant treize étages plus bas, tandis qu'Arthur a pris place sur une des deux chaises devant le bureau, sa casquette traditionnelle tordue entre les mains. Il ne s'attendait pas à le voir, mais il mentirait s'il prétendait que la venue d'Arthur ne le soulage pas un minimum.

   Un pas vers l'ordinaire. Un minuscule pas, mais cela reste un pas.

   Et, bien évidemment, il y a Polly qui se tient à la droite d'Arthur. Dans ses bras, elle porte une petite créature qui pesait 3,125 kilogrammes il y a douze jours de cela. Elle, il savait qu'elle allait prendre le premier vol pour New York dès qu'il lui a annoncé qu'elle était grand-mère. Peu importe leurs différents actuels, les enfants passent toujours en premier pour Polly.

   Polly et les bébés, ça a toujours été un truc. Mais Polly avec son petit-fils, c'est... il ne saurait pas le décrire. Est-ce qu'elle les regardait de la même manière quand ils étaient petits, lui et sa sœur décédée? 

- Tu ressembles exactement à Anna, répète Polly pour l'énième fois au bébé. Exactement à ta tante Anna, tu as les mêmes toutes petites joues alors que ton papa avait des joues tellement dodues que j'ai cru qu'il était né avec 40 de fièvre...

- Gina va bien? demande Arthur pour combler le vide.

- Parfaitement, répond-il un peu brusquement. 

- Désolé, mon gars, avec la séparation et tout je voulais pas...

- Pas de souci, Arthur. 

- Ok, super. Euh... (Il se tourne sur sa chaise afin de chercher de l'aide auprès de Polly, mais cette dernière est à des années lumières d'ici.) Du coup, ça va se passer comment avec le petit? Une semaine avec elle, une avec toi?

   Cela fait trois jours que Gina n'a plus donné de signe de vie et que c'est une nourrice qui s'occupe du bébé. Et de son côté, il ne saurait même pas comment doser la poudre pour faire du lait dans le biberon.

- On est encore en train de voir comment articuler le tout au niveau organisationnel, répond-il vaguement.

- Bien sûr, bien sûr! Quand Billy est né, c'était la foire au début, je te dis même pas... Mais une fois que t'as le pli, c'est bon. Pas vrai, Polly? On s'en sort bien avec Linda, ou bien? Et si moi j'y arrive, ya pas de raisons que toi pas, Michael.

   Il n'en est pas si sûr. 

- Tout se passe bien en Angleterre, à part ça? demande Michael en essayant de changer de sujet.

- Tu as revu les 26,8 milliards quelque part? répond Polly du tac au tac. Moi non plus.

   Bien évidemment, sa mère ne perd pas le nord.

- A part ça?

- Très bien, intervient Arthur qui a visiblement pris en pitié son cousin. Les affaires sont les affaires, on remonte la pente petit à petit...

- Pente qui n'existerait pas en premier lieu si tu savais faire ton job, le coupe Polly sans quitter le bébé des yeux.

- Ouais, soupire Arthur. Mais sinon... oui, tout va bien - enfin bien c'est un grand mot, c'est le bordel depuis que Linn est partie mais Ada s'occupe de tout et...

- Quoi?

   Linn est partie? C'est quoi que cette histoire?

   Arthur le regarde d'un air qui semble vouloir dire «oups, j'étais pas censé partager ça» et vu la façon dont Polly fusille son neveu du regard, il n'était définitivement pas censé évoquer ça. Évoquer quoi, que Linn est partie? Partie d'où? Et pourquoi? 

- Rien rien, continue Arthur, elle est... euh, en vacances.

- Elle est «euh, en vacances?», insiste-t-il, c'est censé signifier quoi?

- Je ne vois pas en quoi ça te concerne, intervient Polly.

- S'il faut que je contacte le service des activités caritatives, il serait préférable que je sois au courant de sa fermeture ou de...

- Oh, rien n'est fermé, explique Arthur, il y a un remplaçant. Un des fils d'Aberama Gold - il paye pas de mine, mais il sait compter.

   Un remplaçant? Donc elle est partie pour de bon de l'entreprise? De Birmingham? Des Peaky Blinders?

- Mon Dieu, fils, tu as perdu le droit de faire cette tête quand tu entends son prénom le jour où tu as décidé qu'elle n'était pas assez bien pour toi, le sermonne Polly. Elle va bien, elle a juste pris quelques mois de congés bien mérités.

- Quelques mois

- Oui, explique Arthur. Tu sais, après sa rupture, je crois qu'elle avait juste besoin de changer de paysage un peu. Aux dernières nouvelles elle était près de Melbourne, en Australie, mais ça change souvent. Tiens, grâce à ça, j'ai appris à situer le Pérou sur une carte - tu savais que c'était en Amérique du Sud? Tout le monde s'est moqué de moi quand j'ai cru que c'était en Asie, mais rien que le nom, Pérou, ça fait un peu Asie, non? Ou Australie au moins?

   Rupture? Avec Harrison?

   Oui, s'il vous plaît. Pas juste par rapport à lui, non, mais surtout parce que l'idée de voir cet abruti s'approcher d'elle dans un rayon de 50 kilomètres...

- C'est Océanie, le continent, le réprimande Polly.

- Ouais, sûrement. M'enfin dans tous les cas, j'espère qu'elle revient bientôt parce que j'en ai jusque là de devoir expliquer à chaque fois au jeune Gold comment utiliser la photocopieuse du deuxième étage - est-ce que j'ai l'air de savoir faire des photocopies? C'est ce que je lui dis aussi, mais il a trop peur de demander à Lizzie, alors c'est moi qui m'y colle.

   Michael ne sait pas quoi répondre à ça, alors il n'ajoute rien. S'en suivent quelques minutes assez pénibles durant lesquelles personne ne prononce le moindre mot. La seule chose que l'on entend, ce sont les tirettes du sac à main de Polly qui s'entrechoquent presque inaudiblement tandis qu'elle berce le petit dans ses bras.

   Son petit. A lui, pas à elle. Bon sang, il ne se fait toujours pas à l'idée. 

- Il fait pas beaucoup de bruit, le bonhomme, fait remarquer Arthur.

- Anna non plus ne pleurait pas souvent. Michael, par contre... oh, parfois j'avais peur que les voisins croient que j'étais en train de l'étriper et qu'ils appellent la police. Et bien, petit bout, continue-t-elle en s'adressant au bébé, reste à espérer que tu continues de grandir sans trop ressembler à ton père et tout ira bien. Mais c'est un peu trop tard pour ça, je crois - Arthur, tu trouves qu'il a les yeux de Michael? Ou de Gina? Ciel, je ne sais même plus quelle couleur ont ses yeux à elle - marrons, non?

   Michael sait que Polly a posé cette première question en connaissant parfaitement la réponse - le bébé a exactement ses yeux à lui, et elle le sait.


[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant