» Chapitre Soixante-Sept : Il ne neige pas en Australie «

745 59 6
                                    

- Linn était occupée ailleurs, précise Michael en répondant à la question silencieuse de Megan.

D'Anna. De sa sœur.

De sa demi-sœur.

- C'est pas grave, répond-elle avec l'esquisse d'un sourire. Je comprends. Elle... Moi, j'ai eu le temps de m'imaginer pendant des années ce que ça serait d'avoir une soeur. Elle, elle savait même pas que j'existais. C'est pas pareil.

Michael ne sait pas quoi répondre à ça, donc il reste silencieux.

C'est lui qui a envoyé un message à Megan ce matin pour lui demander si elle était disponible dans la journée pour qu'ils se parlent. Pour qu'ils parlent de tout ça. Pour qu'ils puissent s'habituer à tout ça.

Pour qu'ils puissent mettre un visage sur un concept. Un frère, une tête, une sœur, une tête.

Michael a proposé qu'ils se retrouvent à Arrow House. Pas directement au manoir, où il aurait eu l'impression d'être épié par tout le clan Shelby - par sa mère -, mais un peu dans les parages, pour marcher dans les champs.

Marcher dans les champs, cela suppose marcher à côté de Megan. Cela suppose ne pas avoir à la regarder en face. Ca lui laisse un peu d'espace à lui. Juste le temps de s'acclimater à la chose.

Un coup d'oeil vers le ciel nuageux du mois d'août lui fait reconsidérer cette option de promenade en plein air. On dirait qu'il va pleuvoir et il n'a pas emmené de parapluie.

- La première fois que je t'ai vu, dit Megan en brisant le silence, c'était à la télé. Je crois que c'était à la période où tu... enfin tu sais, quand tu as renoué contact avec Polly et tout, et que les journalistes trouvaient ça super intéressant. C'est bizarre. Tellement bizarre. (Elle marque une pause, continuant de marcher sur le chemin en évitant comme lui les quelques flaques d'eau s'étirant sur le sol.) Si on m'avait dit que ce gars à la télé, c'était en fait mon frère...

- Désolé.

Elle tourne un peu la tête vers lui en haussant un sourcil. Ce sont les yeux de Polly qui le regardent. Exactement les mêmes.

- Je me souviens que j'étais jalouse en voyant cette affaire passer aux infos, enchaîne-t-elle. Je veux dire, j'ai moi aussi ma famille adoptive en Australie, mais... Enfin je suppose que tu sais comment c'est.

Michael hoche la tête, même s'il n'est pas sûr de savoir comment c'est.

- Tu as des frères ou sœurs en Australie? demande-t-il pour esquiver un peu le sujet.

Il s'en veut de ne pas savoir si c'est le cas où non. Linn connaît surement la réponse - étant donné que Megan était chauffeuse de taxi avant et que Linn est presque incapable de faire le moindre trajet sans sympathiser un tant soit peu avec la personne au volant, elle le sait sûrement.

- Trois soeurs et deux frères, répond Megan. Tous adoptés comme moi. Sarah, Kasey, Laureen, Calvin, Joshua. Josh, en fait. Personne ne l'appelle Joshua, sauf notre mère quand elle lui crie après. Et toi, tu as... Thomas m'a dit que tu avais aussi un frère?

- Samuel, oui. On ne se parle pas souvent.

Michael prie mentalement qu'elle ne creuse pas plus. Il n'a pas envie de lui dire que la seule raison pour laquelle il n'échange en moyenne qu'un SMS par mois avec son frère adoptif, c'est parce qu'interagir avec les Johnson, c'est être Henry. Et Michael a du mal à faire cohabiter Michael et Henry.

Ils marchent à nouveau en silence.

Pourtant, il a un milliard de questions en tête. Quelle était ta matière préférée en primaire et est-ce que ça a changé quand tu es entrée au collège? Est-ce que tu préfères écrire au stylo à bille noir ou bleu? A quoi vous jouiez avec tes frères et sœurs en hiver vu qu'il ne neige pas en Australie? Est-ce que tu t'es déjà cassé un os?

Est-ce que tu as des souvenirs de nous deux, quand on était enfants à Birmingham?

Michael sait que la réponse serait négative. Lui était assez âgé pour réussir à se remémorer de cette toute petite sœur nommée Anna avec laquelle Polly était rentrée à la maison un soir.

Megan, quand à elle, ne savait même pas que son nom de naissance était Anna.

- Je te prie de m'excuser si la question est délicate, dit finalement Michael en brisant le silence, mais je me demandais si tu préférais... Megan ou Anna? Je suppose qu'après avoir été Megan pendant tout ce temps, tu...

- C'est bizarre d'entendre Anna. Il y avait une fille dans ma classe au lycée qui s'appelait Anna, je l'aimais pas du tout. Mais... à chaque fois que Polly prononce le mot «Megan», j'ai l'impression qu'elle va se mettre à pleurer, donc je lui ai dit qu'Anna c'était bon aussi.

Megan, donc.

Silence. Le tonnerre d'un orage grondant au loin.

- Est-ce que tu penses que Linn va... commence Megan sur un ton hésitant. Enfin je veux dire, est-ce que tu penses qu'avec le temps, elle voudra peut-être... me parler?

- Oui. (Sur le coup, il s'en serait presque voulu d'avoir répondu à sa place sans réfléchir, mais il sait que c'est la vérité.) Là, elle ne pouvait pas venir parce qu'elle est allée parler à sa mère. Sinon, elle aurait été là aussi.

- Elle n'a pas besoin, si elle ne veut pas, s'empresse de compléter Megan sur un ton peu assuré. Surtout vu que vous êtes ensemble et tout. Vous êtes bien toujours encore ensemble, ou bien? Je veux pas avoir cassé quoi que ce soit en débarquant comme ça.

Michael s'arrête, pivotant un peu sur le côté pour lui faire face.

- Tu n'as rien cassé du tout, précise-t-il. Si quelqu'un est fautif, alors nos parents.

Elle ne répond pas, mais il voit qu'elle se sent malgré tout un peu coupable. Il le voit parce que c'est exactement la même mimique que Polly aborde les rares fois où elle ressent de la culpabilité pour quelque chose.

- Je tenais aussi à m'excuser, enchaîne-t-il. Non, pas m'excuser parce que je ne suis pas désolé pour ça, mais... (Il met les mains dans les poches de son pantalon.) Ce n'était certainement pas ce à quoi tu t'attendais, d'avoir un demi-frère et une demi-soeur qui...

- Non, admet-elle avec l'ombre d'un sourire, pas vraiment. Vraiment vraiment pas.

- ...mais je tenais aussi à t'informer que ce n'est pas quelque chose qui va changer. Je suis sincèrement, sincèrement désolé que...

- Non mais t'inquiète, l'interrompt-elle en balayant sa remarque en levant les yeux au ciel.

Son ton légèrement crispé fait néanmoins comprendre à Michael qu'elle espérait possiblement qu'après avoir appris la nouvelle, lui et Linn se séparent.

Parce que ça aurait été la chose la plus raisonnable à faire.

Parce que ça aurait certainement facilité les retrouvailles.

Parce que ça aurait tout facilité, en réalité.

Mais ce n'est pas ce qu'il va se passer. Pas tant que Linn est d'accord. Pas tant que lui est encore vivant.

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant